Nous avons pu étudier les différents types de pauvres et la manière dont la pauvreté mute au XVIIIe siècle, voyons maintenant la réponse apportée par les autorités et ses divers prismes de lecture.
L’évolution que connaît la politique d’État est à mettre en contraste avec les nombreuses crises qui se succèdent à partir du règne de Louis XIV et qui se poursuivront au cours du siècle suivant. Débordé, le royaume ne cherche plus à guérir mais à contenir. Face aux masses indigentes, il est urgent de trouver une solution à l’appauvrissement du royaume. L’idéologie qui se développe est celle de la ségrégation. Et à la base de celle ci, la mise en place d’un réseau d’établissements destinés à prendre en charges les indésirables.
Si la charité religieuse est profondément ancrée dans le pays chrétien qu’est la France, l’augmentation explosive du nombre de miséreux au cours du XVIIe siècle et les conséquences que cela entraîne sont perçues comme mettant en péril l’équilibre social du royaume. Les réponses à apporter doivent donc s’adapter à la situation. Ainsi, au XVIIIe siècle, la charité chrétienne demeure au chevet des malades, mais la politique du roi prend le dessus sur celle de l’Église. Les hôtels-Dieu, connus depuis le moyen-âge pour leur rôle d’assistance aux démunis, se retrouvent mis de côté au profit d’une politique d’État complexe. Médicalisés, ils se vident petit à petit des pauvres pour se focaliser sur les malades, la présence religieuse est amoindrie. A côté de ces structures anciennes qui sont petit à petit dénaturées de leur rôle premier, et face aux disettes et épidémies, les pauvres sont nombreux à converger vers les villes. C’est pour répondre cet exode des indigents vers les villes qu’ont été créés les Hôpitaux Généraux, au cœur de la politique du « Grand Renfermement » en 1656, l’édit de création de l’hôpital général en jette ses bases. «Tout Paris, ce jour-là, changea de face » écrit Henri Sauval, avocat au parlement. Sur les 40 000 pauvres que compte Paris, 4 à 5000 sont internés mais le reste fuit la ville. Le visage des grandes cités change alors avec l’entrée en vigueur de la politique d’assistance forcée. Ainsi, mendiants, vagabonds, et aliénés lorsque saisis, doivent être menés pour être internés au sein de ces établissements. Les hôpitaux-généraux recouvrent alors très vite tout le royaume. Une déclaration royale de 1662 impose alors qu’un hôpital général soit bâti dans toutes les villes et importants bourgs du royaume. Il faut comprendre qu’alors chaque ville est confrontée à une réalité différente et que la pauvreté n’est pas la même partout. Le moteur de l’hôpital-général est l’idée de sortir de sa torpeur et son inactivité une partie de la société qui semble vivre aux crochets des autres, sans réelle motivation de changer par eux-mêmes leur existence. Ainsi, on se situe d’une part dans la continuité d’un discours religieux, celui de fournir assistance aux pauvres, mais aussi dans la volonté de les éloigner du vice que représente une vie sans travail et sans activité, considérée comme de l’oisiveté, pointée comme une des raisons des difficultés que traverse le pays, ces individus marginaux étant de plus en plus nombreux. Mais la politique de l’État compte également sur le volontariat pour compléter les rangs de l’hôpital-général. Ainsi, les pauvres valides ont la possibilité de « s’engager » contre quoi on assure leur subsistance. Cette politique se double d’une volonté de propagande pour amener un plus grand nombre à choisir ce chemin. Ainsi dans une brochure largement diffusée, l’hôpital de Valognes fait figure d’élève modèle puisqu’au premier trimestre 1725 il affirme avoir généré 3800 livres de revenus pour seulement 902 de dépenses. Pareil pour celui de Caen, qui pour la même période dépense 1609 livres et en génère 6000. Si ces chiffres semblent exemplaires, ils sont loin de refléter la réalité que connaissent les établissements au XVIIIe siècle. La mise en œuvre du travail de leurs occupants se voit heurtée à de nombreuses difficultés, et dans beaucoup de cas, des hôpitaux entiers se retrouvent en déficit financier, ne générant pas ou peu de revenus. Il faut rajouter à cela les spécificités régionales. En effet, on ne travaille pas partout aux mêmes métiers. Ainsi, à Clermont, les femmes sont employées « à filer » mais les enfermés de sexe masculin ne travaillent pas car considérés comme trop invalide. A Montaigut on les emploie à « teiller* du chanvre ou dévider* du fil » On retrouve encore dans certains hôpitaux une population qui est incapable d’être employée à la tâche, à Brioude notamment, où les registres de la généralité de Riom indiquent « Incapables de rien faire » D’une manière générale, l’hôpital-général et ses diverses formes finissent par échapper au contrôle de l’État, notamment l’hôpital-général de Paris qui tombe dans le cercle d’influence du parlement Janséniste. Ce manque de contrôle finira par entacher la réputation de ces établissements jusqu’à leur fermeture, avec des histoires avérées ou non, de pédophilie, d’escroqueries, rapts et viols. Dès lors, si leur nom peut varier, la fonction première de ces établissements à travers la France reste celle de poursuivre une politique d’enfermement et de mise au travail forcé des pauvres, vagabonds et surtout mendiants.
Qu’elle se base sur le volontariat supposé et encouragé par de la propagande et l’assurance de subvenir au besoins des plus faibles, elle se compose en grande partie d’individus qui sont internés contre leur propre volonté, car considérés comme parasites au sein de la société, et que l’on s’efforcera sinon de remettre à la tâche au moins de cloîtrer, poursuivant la volonté de Louis XIV et à l’aune d’un sentiment fortement partagé au siècle des lumières par les penseurs et philosophes, allant jusqu’à gagner la bourgeoisie comme la noblesse, que les marginaux sont coupables du délit de ne pas contribuer à la grandeur du pays, mais également de vivre aux crochets des autres par la mendicité et ce qui était jusque là l’assistance de l’Église au nom de la charité. Plus encore, on a peur d’un comportement qui pourrait inspirer d’autres personnes à suivre ce modèle de vie décrié. Alors on cache et on enferme.
Parallèlement, sont également mis en place des mécanismes de répression censés contribuer à la bonne marche de la politique royale. Ces mesures se poursuivent alors au long du XVIIIe siècle avec la mise en place de nouvelles mesures pour répondre à une nouvelle réalité sociale, celle du siècle des lumières. La réponse qui est apportée, si elle ne dénote pas foncièrement de celle promue sous Louis XIV, amène quelques nouveautés qu’ils convient d’étudier pour comprendre quelle évolution connaît l’assistance publique à cette époque.
I – Assister le pauvre à la fin de l’Ancien Régime : une politique d’exclusion
Ainsi rentrée dans une optique donnant-donnant, on favorise le modèle qui propose au pauvre de travailler contre assistance. La charité sans contrepartie tombe en désuétude, et malgré les difficultés à faire appliquer cette idée de façon efficace, elle sera le fil conducteur de plusieurs lois. La déclaration du 18 Juillet 1724 premièrement, distille des mesures coercitives. Donnée à Chantilly et enregistrée par le parlement le 26 juillet, elle exige que tous les mendiants capables de travailler trouvent emploi sous quinzaine. Les invalides, vieillards et orphelins sont priés de rejoindre l’hôpital-général le plus proche, où on pourvoira à leurs besoins. En échange, ils travaillent pour compenser une partie du coût de l’assistance qui leur est dédiée. A ces mesures d’assistance, existe un volet répressif en cas de non obéissance, qui prévoit notamment le flétrissement, c’est à dire le marquage au fer, de la lettre M -pour mendiant- des individus qui seraient appréhendés. Toutefois, et il est important de le souligner, ce flétrissement si il reste afflictif, et prive son possesseur du droit de revêtir des charges, contrairement à d’autres cas, n’entraîne pas infamie. Cela s’explique par la volonté de l’État de ne pas plus isoler dans la société ceux qu’elle essaye de réinsérer tant bien que mal, de peur qu’il soit impossible de les y rattacher par la suite. La déclaration connaît un succès mitigé, et n’est pas concrètement appliquée de par la complexité de la tâche. Elle ne règle pas le souci puisqu’en 1764 Laverdy, contrôleur général, réunit une commission chargée de se pencher à nouveau sur la question. «C’est pour remédier efficacement à un si grand mal que nous avons résolu de l’attaquer à sa source.» Les dépôts de mendicité voient alors le jour, pour compléter les hôpitaux-généraux. Établissements où sont reclus les mendiants et gens sans aveu, ils revêtent une symbolique plus répressive que les hôpitaux ou les hospices. Ils ne s’inscriront cependant pas dans la durée, et Turgot, qui ne considère pas la mendicité comme un délit, les ferme au profit des Ateliers de charité institués par l’ordonnance du 27 Juillet 1777, qui s’inscrivent dans une optique d’insertion plus que de punition des pauvres. Necker lui, considère que l’assistance doit être garantie par l’État comme gage du lien social, il est plus enclin à l’aide qu’à la répression. Mais les éléments contemporains sont alors aussi pris en compte. Ainsi, la condamnation aux galères, symbolique peine de l’arsenal juridique du royaume de France se voit tomber en désuétude faces aux modernisations militaires du XVIIIe siècle. En 1749, la marine à rame se voit abandonnée. Cette année là les rameurs de Marseille se voient alors relocalisés à d’autres tâches, notamment aux Arsenaux de la marine à Brest et Toulon, où ils furent employés aux « travaux de fatigue » Au cours du siècle, on affine en plus de l’arsenal répressif, les forces en charge d’exécuter lois et sentences sur le territoire. Symbole de la lutte du roi contre ses sujets les plus démunis, on trouve au plus bas et chargés directement de cette tâche, ceux que l’on appelle de façon populaire les «archers des pauvres» dont l’office est celui de l’application la plus stricte de la loi. On promet récompenses à ceux qui dénoncent mendiants récidivistes, voleurs et vagabonds. Saisis, il sont amenés par ces archers des pauvres à l’hôpital-général où ils sont enfermés, et comme nous l’avons vu, privés de leur liberté. Mais ce travail ingrat, généralement mal payé et mal perçu de la population française se heurte à la difficulté de trouver des volontaires. Il n’est ainsi pas rare que des négociations aient lieu entre un hôpital-général et un postulant. On trouve ainsi trace d’un de ces échanges, entre Antoine Noyer, archer de la maréchaussée, qui demande seize livres en pain et 10 livres en argent comme salaire mensuel. «Le bureau ayant délibéré sur la difficulté à trouver jusqu’ici un homme capable de ladite fonction d’archer, lui accorde dix livres en pain et sept livres dix sols en argent, ce qu’il accepte» Déjà archer, cette reconversion professionnelle permettant sûrement à cet individu de rester dans son domaine de compétence tout en gagnant mieux sa vie, est bénéfique pour les deux parties et semble avoir été courant. En dehors de la ville, c’est la maréchaussée qui s’occupe d’arrêter les délinquant -ceux qui enfreignent la loi, coupables de délit donc, comme celui de mendier- a l’arrestation s’ensuit un jugement.
Ainsi, si les structures évoluent, les mesures prises ne se montrent pas toujours efficaces et peuvent également finir par être contre-productives pour enrayer la pauvreté. A côté de ces structures de travail, subsistent toujours les établissements assimilés aux Hôtels-Dieu, structures focalisées sur le soin des malades.
II – Assister le pauvre à la fin de l’Ancien régime : un devoir religieux ?
Contrairement à l’idée de l’État qui assiste et utilise les pauvres contre un toit, les hospices et autres hôtels-dieu servent eux un but autre, celui de porter assistance aux malades les plus démunis et qui n’ont pas la possibilité de veiller à leur propre santé. Dans ces individus on retrouve très souvent des vieillards en fin de vie, qui n’ont plus de proches ou sont mis de côté. Ces lieux deviennent alors pour eux leur dernière demeure et un lieu où les religieux s’occupent du salut de leur corps comme du salut de leur âme. Cette idée d’hospitalité remonte à d’une tradition ancienne que l’on peut assurément faire remonter aux croisades, dont l’ordre hospitalier fondé par fr. Gérard est le précurseur. Même si elle devient moins religieuse, la mission de ces établissements reste celui d’être au chevet des malades, notamment les maladies qui les privent de la possibilité de trouver une place dans la société, comme la gale, ou la lèpre, qui condamne son porteur à ne plus paraître auprès des autres sous peine de rejet et parfois même d’internement. Ces centres médicaux se focalisent alors sur leur rôle et tentent tant bien que mal de conserver leur indépendance vis à vis de l’État, alors que ce dernier reprend la main sur le sujet des pauvres face à la religion. Ces hôtels-dieu et hospices se trouvent parmi tout le royaume, car ils existaient déjà depuis l’époque médiévale. Ainsi, l’hôpital des Quinze-Vingts fondé par Louis IX, est au centre d’un projet de reconstruction mené par le Cardinal de Rohan, grand aumônier de France. Lieu insalubre, il est jugé incapable d’accueillir les 300 aveugles qu’il héberge selon la tradition depuis le moyen âge. Cette volonté d’un proche du roi de lancer des travaux pour cet établissement, plus que pour son côté symbolique, montrent également que la prise en charge des nécessiteux est toujours un thème qui est au cœur des priorités du royaume. Mais ces mesures sont insuffisantes, et les finances ne permettent pas de correctement mener à terme une réforme de la prise en charge de la pauvreté. Dès lors, face à l’exposition de la pauvreté, la mentalité religieuse et sociale change son regard sur les démunis, et dans l’imaginaire collectif la peur prend le dessus sur la compassion. Pour répondre à un problème d’ordre public, l’État s’arme dès lors de mesures qui fonde l’assistance sur une forme répressive. Dans le but de séparer la bonne société de ceux qu’elle considère comme parasites et inutiles, ces individus mis de côté, mènent alors une existence pénible, cloîtrés et soumis au travail des manufactures En échange, ils sont nourris et soignés, assistés au quotidien. Ceux qui échappent aux arrestations sont relégués à la marge, et vivent dans la crainte d’être appréhendés. La politique de répression si elle se voit confirmée par la déclaration du 18 Juillet 1724, se confronte les années suivantes à une réalité économique et sociale qui évolue et qui finit par mener à sa remise en question.
III – Assister le pauvre à la fin de l’Ancien régime : une politique de répression
Qu’elle soit ou non, voulue, cette existence reste en marge de la société d’ordre et est d’ailleurs réprimée. Le crime de vagabondage ne verra son abolition qu’en 1992. Si parmi les criminels et brigands on retrouve une majorité d’individus « Sans feu ni lieu » d’autres choisissent un moyen de subsistance plus pacifiste, la mendicité. Par mendiant, on entend des individus qui ne peuvent subvenir à leurs propres besoins et qui survivent sur la base de l’apport matériel et financier qui leur est fait par d’autres. Ces individus sont majoritairement sans revenus bien qu’ils aient pu en posséder un avant. Réduits à quémander et dépendants d’autrui, ils ne sont cependant pas tous vagabonds, notamment ceux des villes, les indigents, qui sans avoir totalement perdu leur place dans la société comme les criminels et autres nomades qui sillonnent le pays, occupent une position qui les place en périphérie. On compte alors parmi ces marginaux des villes une autre classe de personnes, ceux qui exercent pour survivre des métiers dégradants, comme la prostitution. Ainsi, les filles de joie sont discriminées de par la nature de leur activité dans une société marquée par la rigueur morale gallicane qui est celle du XVIIIe siècle. Profession existant depuis la nuit des temps, la vente de son corps est sous les différents régimes tolérée, selon sa forme. On distingue les prostituées de cour, celles qui se réservent à une clientèle de privilégiés, et celles de nécessité ou d’asservissement. Face à ces pratiques la tolérance est aléatoire, mais connaît un regain de répression au cours du XVII et XVIIIe siècle. Ainsi le comte d’Argenson en 1750 souhaite réprimer ces pratiques alors en plein essor et décide d’expulser vers la Louisiane les « filles de mauvaise vie » ce qui est mal accueilli par une partie des parisiens. Le vol quant à lui revêt un caractère généralement moins organisé et impactant. Il est dans les villes souvent le fait d’individus seuls qui profitent d’une occasion ponctuelle, et bénéficient rarement de la logistique que l’on retrouve dans le banditisme de grand chemin, où les criminels bénéficient d’une facilité de fuite accrue car situés en dehors du maillage de la cité. Ainsi bien que diversifiés, les pauvres conjoncturels et permanents constituent le bas de l’échelle sociale en France, et sont relégués à une existence précaire où les lendemains ne sont pas assurés.
Si les conjoncturels bénéficient d’une situation un peu plus confortable, ils ne possèdent néanmoins pour assurer leur existence que leur force de travail, qui souvent ne suffit pas. Les pauvres permanents eux, sont voués à vivre du soutien d’autrui et livrés à eux-mêmes, finissent par souvent basculer dans la criminalité, dont les perspectives lucratives sont plus intéressantes que la passivité et l’aumône.
Bibliographie :
Ouvrage général :
- O. CHALINE, La France au XVIIIe siècle, Belin, Paris, 2012.
Ouvrages spécialisés :
- B.Geremek, La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen-Age à nos jours, Paris, 1987.
- J.P Gutton, La société et les pauvres en Europe (XVI-XVIIIèmes siècles), PUF, Paris, 1974
Sources :
- La Rochefoucauld-Liancourt, Rapport, fait au nom du comité de mendicité, des visites faites dans divers hôpitaux, hospices et maisons de charité de Paris. Par M. de La Rochefoucauld-Liancourt, député du département de l’Oise. Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale. (15 juillet 1790).
Articles :
- Chartier Roger. Pauvreté et assistance dans la France moderne : l’exemple de la généralité de Lyon. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 28ᵉ année, N. 2, 1973. pp. 572-582. URL : https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1973_num_28_2_293365?fbclid=IwAR2EHFKYziJw6jP6UpqxUFv6selt_qWF9NgYOdybZ9EjbBq4OkfMxGjZTvU
- C. Romon, « Le monde des pauvres à Paris au XVIIIème siècle », in AESC, 1982
- C. Romon, « Mendiants et policiers à Paris au XVIIIème siècle », in HES, 1982.