Trois fleurs de lys sur un fond bleu.
Qu’on soit initié ou néophyte, ces mots suffisent à l’imaginaire pour nous évoquer la monarchie française universellement connue et le Moyen-Âge. Pour les plus célèbres il n’est nul besoin de plus qu’un visuel pour deviner à quoi cela fait référence. Les armes du Saint-Empire, le drapeau de la Savoie, Bourgogne, mais aussi de l’Angleterre. les exemples sont légion, ancrés dans l’imaginaire et la culture. Armes, armoiries, blasons sont autant de termes rattachés à un seul art : l’Héraldique.
Née des nécessités impérieuses imposées par la guerre et la politique du XIIe siècle, elle se répand petit à petit à toutes les couches de la société jusqu’à devenir partie intégrante de la structure des mentalités du monde médiéval. Devenues accessoire du nom, les armoiries sont transmises avec lui, de génération en génération. Cet art connaît au cours des siècles de nombreuses adaptations, architecture, art, gravure, peinture. Souvent mal compris et victime de préjugés qui mènent à son interdiction, sa censure ou bien sa promotion, l’image qu’il véhicule nous permet d’en apprendre d’avantage sur les problématiques sociales d’un monde en changement. L’art héraldique accompagne l’Histoire de France du XIIe siècle au XXI sous une forme ou sous une autre. Devenu avec le temps un marqueur culturel, on retrouve encore aujourd’hui cet art figuratif. Associé aux devises, duquel elles sont tirées, tout le monde a déjà pu admirer les lions de Normandie, l’hermine de Bretagne ou entendre la phrase « Honi soit qui mal y pense. »
Mais pourtant si présente aujourd’hui, l’héraldique est le fruit d’une codification méticuleuse aux règles propres et inédites qui vont puiser racine dans le substrat de l’époque. Tradition figée par un certain nombre de contraintes et d’usages de bon aloi, qu’on dit de « coutume » cet art a la particularité d’être normé non pas par les autorités, mais par l’usage et de nombreux traités qui ponctuent son histoire. Il peut être alors vu comme un art libre auquel quiconque peut s’adonner, tout en étant soumis au carcan de certaines règles auxquelles il est malvenu de déroger. Forcément, l’évolution des mœurs et des contextes va mettre à l’épreuve la subsistance de l’art héraldique. Mais alors des tabards des chevaliers de l’ost de France au passeport de la république française, en passant par les anneaux sigillaires et les logotypes d’entreprise, force est de constater que plus de huit cent ans après sa codification, il demeure toujours présent dans notre société. Nous pouvons donc nous demander comment l’Héraldique subsiste jusqu’à aujourd’hui et quelles sont ses formes dans la société contemporaine. Nous nous attacherons dans un premier temps à définir la pensée héraldique née du contexte social et culturel du moyen-âge et la confronter à la vision contemporaine, avant de nous pencher sur ses supports de représentation et les diverses formes, entre tradition et rupture.
I – L’histoire d’un art nouveau et sa diffusion dans la société médiévale
Du moyen âge vient la genèse et la naissance d’un art représentatif , l’art du blason.
Pour comprendre comment cet art apparaît, il faut partir des Xe et XIe siècles pour en saisir la forme, l’origine et la structure. Le constat est simple et les causes multiples peuvent être résumées ainsi : l’évolution de l’art militaire sous le prisme des conquêtes. Premièrement le point de vue culturel: avant le Xe siècle la plupart des guerres sont le fait de peuples différents, s’inscrivant dans le mouvement des grandes invasions : Vikings, Sarrasins, Germains.. la différence vestimentaire entre chaque belligérant est assez marquée pour ne pas commettre de méprise. Mais au tournant du Xie siècle lorsque émerge la féodalité, les guerres sont parfois fratricides et le pouvoir disputé entre les puissants nécessite de savoir différencier les individus d’une même société. Ceci se double d’un progrès important dans les équipements de guerre, comme les armures et les casques. Il est alors de plus en difficile de se reconnaître sur le champ de bataille, ce qui nécessite l’adoption de marques personnelles. Premièrement les formes, déjà en vogue chez les vikings notamment sur leurs boucliers. Ce sont alors des traits, des ronds, des figures mythiques, comme sur les boucliers normands de la tapisserie de Bayeux, ou le gonfanon de couleur, on appelle ça l’art pré héraldique. Mais la bataille d’Hastings en 1066 ou ennemis comme alliés de Guillaume sont vêtus de la même façon, couverts de sang et où ses hommes finissent par le croire mort alors qu’il est bien vivant montre la carence de l’art pré-héraldique : il faut adopter une identité visuelle forte et sans équivoque. De là naissent les premiers signes, simples la plupart du temps, et qui ne sont pas encore l’apanage d’un seul individu mais du groupe, par exemple la croix rouge sur l’épaule gauche des croisés en 1096 lors de la première croisade, qui n’est pas encore suffisante, puisqu’un signe commun montre encore ses limites ; la pyramide féodale nécessite un système encore plus précis. On voit alors se développer les armoiries familiales, qui sont propres aux familles détentrices de fiefs, les nobles. Elles prennent petit à petit une place plus importante puisqu’elles sortent du terrain militaire pour être utilisées plus sur les sceaux à partir du XIIe siècle, comme identité du porteur, elles peuvent attester des documents comme les contrats, les lettres patentes et les courriers échangés, mais aussi les titres et diplômes. Si l’héraldique concerne d’abord les combattants et donc la noblesse mâle, elle se fixe comme un bien transmissible à ses fils, puis les femmes de la famille. Plus largement, les institutions, ordres militaires ou bien corporations de métiers finissent par adopter aussi des armoiries. Sa large diffusion va demander alors d’en fixer les règles. En effets si à son origine il n’est pas difficile de trouver un blasonnement personnel, au fur et à mesure du temps les combinaisons se voient restreintes, puisqu’une règle importante est de ne pas usurper ni copier les armes d’un autre, elles doivent être inédites, en principe – que l’on confronte aux faits-
C’est paradoxalement la contrainte de sa codification qui fait basculer l’héraldique dans les arts, par la tradition qu’elle va représenter jusqu’à nos jours.
Si cette discipline reste relativement libre à ses débuts, la coutume va en fixer peu à peu les contours. Il s’agit primitivement d’un rectangle dont la pointe inférieure se termine en ogive, comme un bouclier, mais qui connaît différentes formes selon les époques et régions. C’est cet écu qui est le support primaire, sur lequel chacun va exprimer sa créativité. L’écu est dans un premier temps partitionné, c’est à dire divisé en parties, par exemple un trait diagonal sera tranché vers la droite, taillé vers la gauche, un trait horizontal est dit parti, un vertical coupé. Il est ensuite chargé de meubles, ce sont les dessins qui sont d’une diversité quasiment infinie. En effet on peut aussi bien représenter un chaudron qu’un navet ou un cheval, l’important étant avant tout de respecter la règle primordiale : l’alternance des couleurs. On les classe excepté les fourrures qui sont le vair et l’hermine, en deux catégories, premièrement les métaux qui sont l’or/jaune, et l’argent/blanc. Puis les émaux, azur/bleu, gueules/rouge, sable/noir, sinople/vert, pourpre/violet, on y ajoute la couleur naturelle qui s’applique aux meubles non modifiés, par exemple le gris pour un loup, le marron pour un tronc d’arbre. L’ossature même de la composition héraldique, si elle reste assez permissive et tolérante, se base sur la contrariété des couleurs dont la règle est simple : on n’applique point de métal sur métal, ni émail sur émail. Ainsi on ne peut faire figurer un loup de gueules sur un fond d’azur, mais on peut faire figurer un loup d’argent sur un fond de sinople. Si la règle n’est pas respectées, les armoiries sont dites à enquerre, c’est à dire qu’elles contreviennent, et si les exemples existent, ils ont souvent une portée symbolique – Jérusalem porte par exemple d’argent à la croix potencée d’or, mais ville du Christ, elle échappe aux règles des hommes, même dans l’art, souligne son importance.- La couleur voit aussi une association lorsqu’il faut les dessiner sans couleur, points pour l’or, hachues verticales pour le rouge.. Les meubles si ils n’ont pas de règle précise, sont petit à petit décrits et codifiés. Le lion a par exemple 10 variantes descriptives ! Du lion rampant au lion passant des Plantagenêts, la diversité de création est importante. Mais aujourd’hui ces règles arrêtées se voient diversement considérées, et donnent naissance à une variété d’interprétations. Car la culture s’est emparée du thème du moyen-âge et au fur et à mesure de la mise en place du fantasme médiéval, son art est parfois déprécié et « grossièrement caricaturé » des mots de Régine Pernoud. L’art français appelé gothique en est l’exemple le plus parlant, mais l’art l’héraldique n’est pas en reste, bien qu’il soit à l’origine d’une grande diversité.
II – La diffusion de l’héraldique : représenter le Moyen-âge dans nos sociétés
Analyser la diffusion de l’héraldique par la culture populaire nous renseigne sur les représentations et l’image du Moyen Âge dans nos sociétés.
En effet, les blasons sont présents partout. Sociétés, Marques, Entreprises, audiovisuel, musique, sport.. peu de domaines en sont exempts. Il y a premièrement ceux qui sont historiquement connotés. Herbert Ryman, illustrateur de la Walt Disney Corp. Décide lorsqu’il crée les plans du château de la belle au bois dormant en 1953 les armoiries de la famille Disney, composée de trois lions et d’un heaume dit crapaud. L’idée plaît et l’opération est répétée dans les autres parcs, cependant l’ironie veut que ce soit en à Disneyland Paris en France, berceau de l’héraldique que les graveurs se trompent, puisque les lions regardent à droite au lieu de la gauche. Disney n’est pas la seule compagnie à utiliser l’héraldique, puisque marqueur d’une identité forte, le pétrolier shell utilise un coquillage -shell en anglais- d’or sur fond de gueule. Dessiné par l’artiste français Raymond Loewy en 1995, la France et l’Europe ont en effet massivement utilisé le blason au cours du XIXe siècle lors de la naissance de nombreuses entreprises aujourd’hui mondiales. On peut citer des marques assez célèbres comme Alfa Romeo qui reprend les armoiries de la famille Visconti, BMW et son écartelé d’argent et d’azur, ferrari et son écu d’or au cheval de sable – qui n’est pas sans rappeler la famille italienne Baracca- mais aussi dans d’autres domaines comme le sport, la reprise des armes de la ville de Manchester, Bayern, Liverpool dans le football ou encore la fleur de lys française pour l’équipe de baseball de la Nouvelle-Orléans, renvoyant à son passé français. Si ces marques respectent une origine attestée ou renvoient à une image qui leur correspond, le blason souffre malgré tout d’une connotation élitiste. La croyance veut en effet que les armoiries soient l’apanage des nobles, cela en raison de son origine certes aristocratique mais qui finit par être répandue à tous. Cette croyance est si prégnante au XVIIIe siècle que la constituante du 19 juin 1790 interdit leur usage ! Les révolutionnaires exaltés iront pour certains jusqu’à les marteler des façades des bâtiments, les arracher des livres, les perforer sur les tableaux.. le patrimoine souffre de ce « bûchage » intensif, et l’art héraldique est victime collatérale de la révolution -il sera pourtant rétabli par Napoléon- si les armoiries véhiculent donc une image de hauteur et de supériorité, il n’est pas étonnant qu’elles soient récupérées par des marques peu regardantes sur ses règles et ses codes et qui veulent simplement se servir de ces idées reçues. Un grand nombre de chaînes d’hôtellerie utilisent ainsi des armoiries inventées comme le Plaza Hotel de New york qui blasonne deux P contournés sur un fond argent à enquerre donc, ou le Brown’s hotel de Londres qui reprend la couronne britannique et saint-michel et le dragon de gueules/rouge sur fond blanc. Si il respecte les couleurs, l’écu lui ressemble à une bouée.. Enfin, lorsque certains ne contreviennent pas, on assiste à des vols purs et simple. Le plus célèbre est celui des armoiries qui ornent le resort club Mar-a-Lago de Donald J. Trump, qui a simplement récupéré celles qui étaient déjà présentes lors de l’achat à l’ancien propriétaire et qui appartiennent à la famille Davies. Joseph D. Tydings, descendant et ancien sénateur, porte lui même les armoiries sur une chevalière et a publié une tribune à ce sujet, en effet Trump n’a jamais demandé l’autorisation, c’est donc une usurpation d’armes. Enfin, si cela est regrettable, il convient de rappeler que les armoiries se transmettent dans 80% des cas par le patronyme, ainsi M. Tydings a beau descendre des Davies, il n’en porte pas le nom, donc il usurpe lui même les armes de son ancêtre, preuve la complexité subtile de l’héraldique.
On compte enfin beaucoup d’utilisations dans la vie courante ; Haussmann lorsqu’il harmonise Paris, continue à imposer la présence de cartouches aux frontons pour faire figurer les armes au 1er, avant l’étage noble qui est au second. Enfin, la dérive de l’héraldique est plurielle. Renault et ses losanges, le lion de peugeot, mais aussi les deux chevrons de Citroën et ses différentes formes. Mais dans la culture populaire aussi, on notera les nombreux films qui abordent le sujet de la chevalerie. Eragon de Stefen Fangmeier et son bouclier à dragon bleu sur fond bleu -enquerre- mais aussi les chevaliers du Rohan du Seigneur des anneaux de Peter Jackson, portant de sinople au cheval d’argent. Enfin plus récemment, le bouclier de captain America dans les comics mais surtout dans les films Marvel, ou encore le logo du shield, d’argent à l’aigle de sable, ou les nazis d’Hydra portant de gueules au crâne de sable entouré de 6 tentacules du même- enquerre. Ainsi la culture continue d’utiliser la symbolique héraldique, qu’elle soit dérivée ou appropriée, respectée dans son intégrité et ses règles ou bien détournée. Mais à côté de cette subsistance, en demeure une autre, plus formelle, codifiée.
III – L’héraldique de nos jours
Ainsi, nous pouvons nous intéresser aux formes d’art qui se veulent garantes de la tradition héraldique et s’inscrivent dans la continuité.
Premièrement, l’héraldique vit encore aujourd’hui sous le prisme des personnes qui s’en font garantes. En effet malgré son âge, l’héraldique est un art qui se veut vivant. Aujourd’hui, dans le respect des règles de couleurs, meubles, partitions et de non usurpation, tout quidam peut créer ses propres armoiries, pour sa famille, sa société, voire même sa congrégation pour les religieux. L’ombre au tableau vient en réalité de l’encadrement administratif. En effet il n’existe pas d’instance officielle chargée de légiférer sur les armoiries en France, comme c’est le cas dans d’autres pays comme l’Angleterre, le lord lyons de l’Écosse, le Canada ou encore la Suisse et la Belgique. Cela n’est pas étranger à l’association entre noblesse et armoiries, l’état se garde bien aussi de se prononcer sur les titres – en dehors du livre des sceaux- Pour garder cette tradition vivante, il existe diverses branches de l’art l’héraldique, comme le dessinateur, le peintre ou le graveur. La précision et la réglementation demande de minutieuses études de la question, premièrement pour maîtriser la science en elle-même et subtilités, ensuite, pour en appliquer l’art. De grandes maisons se font garantes de ce savoir, nous pouvons citer notamment la maison Agry, située à Paris, et qui s’illustre dans l’héraldique depuis le XIXe sur une variété de supports, de l’argenterie aux cartes de visite. Il y a aussi les artistes à leur compte, qui décident de suivre cette spécialisation, comme les graveurs héraldistes. Métier en voie de disparaître, il sont une dizaine en France. Parmi les plus connus, on peut citer Pascal Doulière, Thomas Brac de La Perrière à Nantes ou encore Ortolla à Lyon. Des bijouteries se font aussi spécialisées dans ce domaine, comme Augis, Laudate, l’Échoppe. Le support le plus prisé est la chevalière. L’héraldique la plus traditionnelle survit à travers le prisme de cet objet encore bien vivant. A l’origine, l’anneau sigillaire servait à sceller la cire pour authentifier un document, aujourd’hui, il est devenu un marqueur d’identité culturelle plus que sociale. En effet si la noblesse est diverse dans sa fortune, de la désargentée à l’aristocratie, le symbole des armoiries demeure. Une codification s’est mise en place, par exemple dans sa représentation. Si on différencie les armoiries entre les fils d’un noble, par exemple en ajoutant ou changeant une figure, on porte aussi sa chevalière de manière différente selon sa position. Les formes aussi varient, du losange des demoiselles aux écus d’alliances des épouses. Selon les pays la coutume est aussi à la matière. Entre la chevalière toute or en France et les chevalières sur pierre précieuse et semi-précieuse en Allemagne. Les artistes héraldistes sont rares parce que ceux qui font appel à leur art le sont aussi, en effet si tout le monde peut posséder des armes, ceux qui valorisent le plus cet héritage restent les nobles à travers les siècles, et dans une moindre mesure la bourgeoisie, dans un souci d’imitation des codes aristocratiques, soit une petite portion de la population. Les armoiries peuvent se décliner sur tout support, des couverts Christofle ou Ercuis à la broderie des nappes ou les ex libris. Tout artiste peut être confronté à une commande comprenant des armoiries, donc héraldique. En effet si peindre les armes sur un portrait est quelque peu hors de mode, aujourd’hui demeure dans certaines régions la tradition du OBIIT funéraire peint sur bois noir, où figurent les armes du défunt lors de la cérémonie. L’héraldiste breton Hyacinthe Desjars de Keranroue est reconnu pour peindre ce support, mais le bois peut être aussi sculpté, comme le fait Patrick Damiaens. Ces armes sont souvent affichées à l’entrée d’une maison, ou bien au dessus du porsche d’un club, d’un château. Enfin, les fondeurs continuent à créer des plaques de cheminées armoriées, comme la fonderie Vincent. Mais tous les supports peuvent être utilisés, comme les objets du quotidien. On pense alors à la marque Akrone qui fabriquera prochainement une série de montres à applique armoriée en argent, ou même les pendentifs, camées armoriées allemandes de René Rettberg. L’héraldique est donc pratiquée sur une variété de supports importants dans le monde artistique, qu’il soit traditionnel ou plus novateur. Toute personne peut posséder ses armes et les faire représenter, dans le respect des règles.
Enfin au delà de la personne morale, l’héraldique continue d’être utilisée massivement par les institutions dans ce qu’on appelle l’héraldique publique.
Elle concerne au premier lieu la représentation communale. Ainsi des villes nouvelles ou qui n’ont pas été dotées d’armoiries en font parfois réaliser par des artistes, il y a de nombreux cas en France de création pour des villes comme Avon ou Combs-la-ville en région parisienne, mais d’autres plus grandes comme Saint-Étienne dont les armes sont adoptées en 1961, ou encore Québec chez nos cousins outre-atlantique. Si les règles ne diffèrent pas pour le blason, les artistes veillent néanmoins à toujours représenter une couronne maçonnée de tours de couleur or, qu’on appelle couronne municipale et qui permet de différencier les villes des familles. Ceci est dû à la ressemblance et parfois l’identique blason partagé entre personnes physiques et communes. En effet la plupart des familles nobles ayant possédé des fiefs, elles lèguent souvent leurs armes. C’est le cas par exemple à Labastide-Fortunière renommée Labastide-Murat du nom du fringuant roi de Naples. Le village demande l’autorisation du 8e Pce de pouvoir user des armoiries de sa maison, ce qui est acté en 1994. Ainsi, l’héraldique reste une thématique prisée et un enjeu de communication pour les communes, notamment sous le prisme historique. Au delà, l’usage est aussi répandu dans les institutions. La chancellerie de la Sorbonne continue d’utiliser aujourd’hui les armoiries de l’Université de Paris, et les a même déclinées en produits dérivés, ce qui la place dans une idéologie de continuité et d’héritage, qui n’est pas réservé qu’aux familles. Enfin, même au sommet de l’État, l’héraldique semble plus vivante que jamais, l’ajout de la croix de Lorraine, symbole tant prisé du Gaullisme et synonyme de libération de la France – qui figure aussi sur la croix de la libération et sur les brassards des FFI – aux logo officiel de la République française démontre que l’héraldique, au delà des logos modernes, est un élément de continuité. Enfin, dans la religion aussi, les artistes héraldistes du Vatican sont chargés de peindre les armes des nouveau cardinaux quand ces derniers n’en possèdent pas, ou de représenter celles des nominations, le cas d’Éric de Moulins-Beaufort à l’archevêché de Reims en 2018 en est un exemple. C’est le cas plus majoritairement dans les monarchies en Europe qui continuent d’utiliser les armes des familles régnantes comme symbole d’identité nationale. Ainsi, l’écusson sur le maillot de l’équipe nationale anglaise représente les trois lions plantagenêts, stylisés par Desmond Wallis en 2005, celui du Portugal avec Ronaldo portant les armes des trastamare, l’espagne, le danemark.. exemples parmi d’autres de la persistance de cette représentation et son impact sur les consciences. L’ordre de Malte utilise encore sa croix pattée sur fond rouge comme logo caritatif à travers le monde, comme la croix et le croissant rouge.
Que conclure ?
En conclusion, le terme d’art ne saurait être suffisant pour définir convenablement l’héraldique. En effet, au delà de la discipline artistique, c’est bel et bien une science, avec ses codifications, particularités et traditions qui voit le jour entre le XII et le XIVe siècle, où elle se fige peu à peu. Arrêtée au cœur de l’époque féodale, l’héraldique subsiste sous diverses formes et surtout se diffuse massivement depuis la France dans toute l’Europe puis dans le monde. Présente dans notre société contemporaine, elle a donné naissance à une grande partie de l’imaginaire collectif et ses codes visuels parlent au plus grand nombre, ainsi en est-il du lion symbole de courage, c’est bien l’héraldique qui l’a promu roi des animaux, à la place de l’ours. Si sa forme originelle se maintient, elle le fait grâce à un cercle d’initiés et de personnes qui se veulent garantes sinon gardiennes d’un art vivant. Pour mieux l’apprécier, il faut le respecter et le comprendre. Mais cette démarche compréhensive est peu appliquée par le plus grand nombre, et la majorité n’est que peu soucieuse de ce respect, d’où une lente dérive et déclinaison, qu’on peut voir au choix comme une décadence, ou bien comme une appropriation et une évolution de règles trop inflexibles pour notre société moderne. L’art héraldique trouve résonance dans des domaines résolument modernes comme les marques automobiles ou encore technologiques, mais continue aussi sa subsistance dans les métiers d’artisanat comme la joaillerie, l’orfèvrerie, la peinture, la broderie, la sculpture.. Si on peut considérer sa prégnance dans notre monde, c’est de manière subliminale que cette forme d’expression est le mieux appréciée. Ainsi souvent les initiés préfèrent jouer la prudence. On utilisera le mot blason, qui sonne plutôt neutre, à la place d’armoiries, qui renvoie tout de suite à un terme aristocratique et qui surprend à plus d’un titre. Paradoxalement donc, c’est sous de nouvelles formes officieuses et sous des formes officielles que cet art s’illustre, entre armoiries de la noblesse et marque commerciale, subsistent alors plusieurs formes dérivées de cet art, des écus de la famille de Bourbon au logo range Rover, en passant par la marque Hermès.
Bibliographie
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Articles et revues :
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Dictionnaires et atlas :
- PASTOUREAU Michel, Héraldique, Encyclopedia Universisalis.
- PINOTEAU Hervé, ARMES, Héraldique, Encyclopedia Universisalis.