L’annonce de la suppression de l’École Nationale d’Administration, le 9 avril dernier par le président Macron, entend répondre à une crise sociale ainsi qu’à un sentiment de déconnexion des élites républicaines. En réalité, ce sentiment traverse le temps ainsi que les sociétés et est, au fil de l’histoire, le moteur des contestations et d’une succession de régimes politiques. La reproduction sociale des élites prend effectivement sa source dans des rites bien définis et dans des lieux d’échange propices à l’entre-soi intellectuel : la mondanité. Les sociabilités mondaines sont intimement liées, au XVIIe et XVIIIe siècle, aux salons parisiens. Ce monde des salons dans lequel s’échangent des idées de progrès et autres curiosités intellectuelles, est également un lieu propice à la reproduction sociale de l’aristocratie parisienne. S’intéresser aux salons parisiens est, à bien des égards, entrevoir l’individuation des élites.
Depuis le XIXe siècle, l’historiographie française révèle des appréciations contrastées sur les salons parisiens. Pour certains observateurs, critiques, les salons se réduisent en effet à des lieux dans lesquels les mondains d’Ancien Régime se livraient à des divertissements superficiels, tandis que pour d’autres observateurs, admiratifs, il s’agissait de lieux incarnant un idéal de sociabilité intellectuelle. Cette ligne de tension qui traverse l’historiographie traverse également la définition du terme même de « salon » ; il s’agit d’un terme polysémique qui donne lieu à des appréciations différentes selon l’angle par lequel on le prend. D’où l’importance de traiter les salons parisiens, au pluriel, dans leur diversité. Le terme « salon » au XVIIIe siècle n’a pas la même acception qu’aujourd’hui. Il s’agit alors d’un terme architectural qui désigne une grande salle avec un plafond cintré, ce n’est que progressivement que le terme désigne spécifiquement un lieu dans lequel on accueille des invités. En fait, on ne parlait pas de « salon » avant la Révolution, on parlait plutôt de « société » ou de « cercle ». Le point commun entre ces trois termes – salon, société et cercle – est qu’ils se rapportent tous les trois à l’appartenance au « monde » parisien, entendu comme un groupe social qui se distingue par ses pratiques de sociabilité. Et c’est d’ailleurs ce « monde » parisien qui donne le mot de « mondanité ». Ainsi, pour étudier les salons parisiens sous la perspective d’étude la plus large et la plus précise, il convient donc d’étudier ces salons à partir des notions de mondanités et de sociabilités, afin de ne pas reproduire les perspectives partielles d’une certaine historiographie, qui réduit les salons à des lieux ou bien aristocrates ou bien littéraires. Je reprends ici le constat de l’historien Antoine Lilti, qui a écrit un ouvrage qui fait référence sur le sujet, selon qui les salons recouvrent une réalité bien plus large, ils sont « une interface entre la vie littéraire et le divertissement des élites, entre la Cour et la Ville, entre les débats savants et les intrigues politiques. » Maintenant que nous avons précisé la notion de « salon », il convient également d’expliciter les bornes et le contexte du sujet. Étudier en particulier les « salons parisiens » aux XVIIe-XVIIIe siècles ne permet pas seulement d’avoir un champ d’étude cohérent, cela implique aussi des spécificités contextuelles propres à cette période et à ce lieu. Le fait d’étudier les salons « parisiens » implique de les penser dans le cadre d’une société de cour, dans laquelle les salons ne peuvent se comprendre sans référence à la polarité introduite par Versailles ; il y a une ligne de tension entre la Cour et Paris qui traverse les salons. De même, on ne peut comprendre les salons du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle sans les replacer dans le contexte des Lumières ; les salons ne sont plus seulement des lieux de loisir aristocratique, ce sont également des lieux d’émulation intellectuelle. Il ressort finalement de tous ces éléments introductifs que les salons sont au cœur des mécaniques culturelles, sociales et politiques des élites parisiennes du XVIIIe siècle. Ainsi, comment la pratique des sociabilités et des mondanités propres aux salons parisiens du XVIIIe siècle participe-t-elle à l’individuation, à l’appartenance au « monde », des élites sociales parisiennes ?
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