La colonisation de la Nouvelle France débute dans les années 1630. À l’heure du navigateur Samuel de Champlain, la Nouvelle France ne comptabilise que trois cents Français dont peu de femmes. Une donnée démographique non négligeable alors que se développent, au sein de ces colonies lointaines, une société théocratique intolérante reposant sur une vie spirituelle très riche. Pour des raisons essentiellement commerciales et stratégiques, l’Iroquoisie, partenaire de la Nouvelle-Néerlande (colonie hollandaise devenue anglaise en 1666) entre en guerre contre la Nouvelle France dont les années 1680 en constituent le paroxysme. Jeu d’influence, question lointaine, intervention du roi de France : ces conflits marquent un tournant dans la politique louisquatorzienne coloniale.
« Tu diras à mon frère que je vais descendre à Montréal où mon père Onontio a allumé le feu de paix » à l’été 1700, le chef iroquois teganissorens affiche son intention d’accepter la main tenue française alors que depuis près de cent ans, ses ancêtres ont déployé leurs forces contre la jeune colonie. Onontio, le gouverneur français n’est plus l’ennemi mais le père. Le rapport à la figure paternelle, patriarche pour les français, simple pourvoyeur pour les indiens illustre à lui seul la complexité de l’entreprise française en Amérique du nord, grevée de conflits les opposants eux et leurs alliés aux Iroquois. Les iroquois, ou Haudenosaunee alliés des Hollandais puis des Anglais sont un ensemble de peuples organisés en confédération dite des cinq nations : les Onondaga, les Agniers, les Senequas, les Oneida et des Cayuga. Ils peuplent d’abord les abords du lac Ontario, puis s’étendent au gré des conflits des les territoires de l’Ohio jusqu’au Saint-Laurent. Ces guerres entre le royaume de France et l’Iroquoisie, loin de ressembler aux conflits européens, sont tout à fait inédites et édifiantes pour l’étude des rapports coloniaux. Le premier acte a lieu au lac Champlain en 1609, lorsque exhortés à prendre part aux combats par leurs alliés, quelques colons font usage de la force, introduisant l’usage des armes à feu contre les iroquois. Dès lors, les colons jusque là acteurs commerciaux deviennent acteurs des conflits armés autochtones, suite logique de leur sédentarisation. D’abord attirés par les ressources halieutiques, les navigateurs se tournent au début du XVIIe siècle vers la traite des fourrures, bien plus rémunératrice, glissant du prélèvement au peuplement. Dès lors, une véritable concurrence économique, aussi bien entre indiens qu’entre européens s’ajoute à une situation déjà marquée par ce que le sociologue québécois Denys Delâge appelle des «structures amérindiennes préexistantes». Si l’historiographie traditionnelle a développé le terme de guerres franco-iroquoises comme des conflits pluriels, l’historien Gilles Havard dans l’histoire de l’Amérique française n’hésite pas à considérer ces affrontements comme part d’un seul ensemble, à l’image de la guerre de Cent-ans.
Lorsque Louis Dieudonné devient Louis XIV en 1643, il hérite de ce théâtre de guerres, perçu depuis Paris comme une affaire bien lointaine en comparaison des affres de la fronde. Peu à peu, l’affirmation du règne personnel s’accompagne d’une autorité royale renouvelée, sous laquelle tombe bientôt la question des richesse du nouveau Monde. Pourtant, et malgré les efforts consentis, il faut attendre 58 années, de 1643 à 1701, pour entrevoir une paix durable.
Il convient alors de s’intéresser aux raisons de la subsistance de tels conflits contre l’iroquoise mais aussi à leurs conséquence sur la colonisation française, tant par les moyens déployés que la manière de penser une implantation face à la violence. Il est donc pertinent de se demander en quoi les guerres franco-iroquoises, nourries par les rivalités européennes et indiennes conditionnent l’essor de la colonisation française en Amérique du nord au temps de Louis XIV. Nous verrons d’abord le particularisme régional amérindien face à l’arrivée des colons qui sous-tend ces conflits avant de nous intéresser à la reprise en main de la colonie par l’État royal et les limites que celui-ci pose, enfin nous analyserons le glissement des guerres économiques et traditionnelle à des guerres d’alliances qui transforment profondément la stratégie coloniale française.
I – Les conflits de la colonie, une affaire locale et lointaine (1643-1662)
Lorsque Louis monte sur le trône en 1643, le jeune roi hérite alors des tensions passées, face auxquelles la couronne ne montre que peu d’intérêt. Aucune volonté royale ne semble poindre, si ce n’est la politique de prédation déléguée aux acteurs privés comme la compagnie des cent associés.
A) Des français prisonniers des alliances amérindiennes
Dès lors la période est d’abord marquée par une multiplicité des acteurs. Au premier rangs, soulignons le piège du jeu d’alliances amérindiennes. Voisins directs des hurons et algonquins, la stratégie économique de traite des fourrures passe donc par-eux, héritant par la même d’un ennemi par délégation, les iroquois. L’échec de la paix de 1645 souligne cette position inconfortable. Alors que les partis français et iroquois s’entendent sur un arrêt des combats, la volonté des iroquois de laisser hors des négociations les hurons et les Algonquins, permettant ainsi d’affirmer leur monopole commercial fait longuement hésiter les français qui finissent par refuser. Les canaux commerciaux nés de l’installation européenne s’imposent en effet sur une dynamique politique déjà existante et antérieure. Dès lors, le refus de neutralité des français expose les possessions coloniales. Lors d’une de ces confrontations entre coureurs des bois et iroquois, les iroquois capturés répondent « Les François tiennent entre leurs bras les Hurons & les Algonquins, il ne faut donc pas s’étonner, si en voulant frapper les uns, les coups tombent quelquefois sur les autres » cet extrait des relations des jésuites souligne la teneur de la violence iroquoise visant d’abord à neutraliser les autres tribus de manière à demeurer seuls interlocuteur commerciaux, ceci à cause de la disparition des ressources sur leur territoire à cause de la chasse à outrance, mais également seuls possesseurs territoriaux. Peu étonnant alors que les victimes dans les premières années du règne soient des missionnaires en mission d’évangélisation dans les tribus, et des commerçants qui remontent les lacs vers les peuplements français. En prenant le parti des hurons, les français semblent en partie condamnés à subir tant qu’ils s’attachent à leur politique de coopération.
B) Le poids des désaccords, la multiplicité des acteurs coloniaux
Si ces conflits sont en partie subis, c’est qu’au delà du jeu d’alliance, la multiplicité des objectifs rend difficile une réponse cohérente. Si les français ne peuvent abandonner leurs alliés, la distance périlleuse qu’ils placent avec eux se révèle contre productive. Premièrement par le manque d’appui concret. Montmagny dès le début de son gouvernorat oriente la construction française vers un objectif commercial plutôt que martial. Il s’agit de s’étendre, parfois au détriment des alliés hurons en abandonnant d’anciennes positions. Ce manque d’implication s’illustre difficilement mieux que par la passivité affichée par les français lors de l’annihilation de leurs alliés. En 1648 et 1649, à l’aide d’armes à feu hollandaises, les iroquois chassent les Hurons-Wendats, puis ce sera au tour des Pétuns en 1649 et 1650, les Neutres en 1651 et les Ériés en 1656. L’hésitation, justifiée par un espoir de paix avec les iroquois a un impact direct sur l’essor de la colonie en la privant de soutiens opérants. La vision évangélisatrice est également un frein à une guerre équilibrée. Les jésuites en effet conditionnent l’acquisition et la vente d’armes à feu aux seuls hurons convertis tandis que les iroquois bénéficient d’alliés hollandais bien moins regardants. On compte ainsi plus de 500 fusils côté iroquois en 1645 contre à peine 120 pour les hurons et les algonquins. Dès lors l’anéantissement des alliés français et la persistance des guerres, résulte d’abord du fait qu’ils soient pris dans un engrenage de défense mutuelle avec leurs alliés, mais également de la multiplicité des hésitations qu’elles soient religieuses ou diplomatiques face à un ennemi supérieur en nombre. 6’45 L’anéantissement des alliés français est un coup qui recompose le tissu colonial d’une manière inédite, qui nous permet de saisir que finalement, les objectifs français et iroquois sont similaires mais pourtant irréconciliables. Avec la destruction de la Huronie, la disparition du troisième acteur polarise deux camps qui vont intégrer les survivants à leur organisation. Chez les iroquois, leur coutume guerrière veut que les prisonniers remplacent leurs morts au sein de la communauté, de manière à ne pas manquer d’individus. Les hurons, sont donc «dispersés » d’une part adoptés par les Iroquois, en particulier les Agniers, de l’autre amalgamés au territoire français. Cette prédation des forces huronnes trahit un idéal commun, celui d’une hégémonie, qui pour les iroquois passe par le commerce, pour les français par un réseau d’alliances solide. Tandis que ce dernier s’efface, les conséquences se font sentir dans la réorganisation de la vie des peuplements. L’assimilation de la population autochtone ne se fait pas sans échanges mutuels de telle manière que les guerres resserrent les liens, notamment culturels. c’est à cette époque que le gouverneur Montmagny gagne le surnom d’Onontio, traduction algonquienne de Haute-Montagne, dont ses successeurs héritent. De l’autre côté les iroquois peuvent reconstituer leurs forces et proposer à de nombreuses reprises la paix à la France, pour parvenir à leur objectif monopolistique.
C) L’hégémonie des uns sur les autres, vers une unité
Dès lors ces premières décennies de guerres représentent un frein considérable au développement et au peuplement de la colonie, constamment harcelée par leurs ennemis. Les français qui ont si longtemps contenu une véritable réponse militaire aspirant à une unité par une paix globale. De l’autre côté, les iroquois, dont les aspirations unitaires rejoignent les impératifs commerciaux impulsés par la traite des fourrures profitent de cette indécision pour détruire et intégrer les autres peuples, ayant l’avantage de l’initiative. Si de nombreuses paix sont proposées, leur échec tient autant dans la divergence d’intérêts que dans l’objectif de domination des deux partis. Mais ce désintérêt compte ses jours, tandis que les guerres franco iroquoises deviennent un enjeu pour la prospérité du royaume et l’image du roi.
II – Un roi aux affaires : vers un nouveau chapitre des conflits armés / (1663 – 1683)
Les hurons dispersés, les français passent de victimes collatérales à cibles délibérées, si bien que la situation fait prendre conscience à la métropole du problème américain. Cette reprise en main, sur plusieurs aspects, opère un changement de stratégie significatif dans la conduite des opérations, et donc dans l’aboutissement de la colonisation.
A) La mainmise royale, une démonstration du pouvoir
Dans le sillage de la reprise des hostilités et du règne personnel du roi, ce dernier ne tarde pas à affirmer son autorité sur la colonie en retirant le monopole qui avait été octroyé aux compagnies canadiennes et en intégrant la Nouvelle-France dans le domaine royal. Cette intégration qui opère un changement de structure et des institutions est aussi l’occasion d’opérer une démonstration de force inédite, l’envoi du régiment de Carignan-Salières. En 1665 lorsque 1200 soldats débarquent sous les ordres du marquis de Tracy, les français lancent deux raids destructeurs. Le choc de ces deux expéditions n’est pas seulement celui de la destruction de quelques établissements iroquois, il fait prendre conscience aux cinq nations que les colons appartiennent à un ensemble plus vaste, plus dangereux que les quelques milices opposées à eux jusqu’alors, et surtout qu’ils pourraient menacer à terme les gains tirés des guerres. Dès lors la paix, signée en 1667 n’est pas tant le résultat d’un processus de discussions qu’un constat d’impuissance. Mais l’arrivée du régiment n’est pas seulement une victoire psychologique, elle est aussi l’occasion d’étendre les dominations françaises sur le territoire. En quelques mois, les soldats sont répartis à travers les routes où ils bâtissent efficacement de nombreux forts comme celui de Sainte-Thérèse, Richelieu ou Saint-Louis. La poussée démographique est également importante, avec plus de 400 soldats qui s’établissent durablement dans la colonie. Le régiment de Carignan-Salières dont la venue est la conséquence directes des conflits, se démarque comme la première réponse militaire adéquate aux guerres franco-iroquoises, et signe aussi une reprise démographique, commerciale et territoriale.
B) Les expéditions, une affirmation au prisme des conquêtes iroquoises
Pourtant, sur ce dernier point, ce n’est pas tant aux soldats que l’on doit cet essor mais surtout à la disparition des anciens alliés, qui pousse indirectement les français vers de nouveaux territoires. La destruction des hurons prive les colons de liens avec l’intérieur des terres. Dès lors les coureurs des bois prennent leur rôle pour la traite tandis que s’opère un glissement de la part des missionnaires et des soldats à la recherche d’alliés. Cette politique d’exploration, conséquence des conflits armés, porte ses fruits rapidement. Parce que la paix n’en est pas vraiment une, tant elle est ponctuée d’escarmouches iroquoises, les explorations de Jolliet, Marquette, et particulièrement René-Robert Cavelier de la Salle s’accompagnent de la construction de nombreux forts, poussant vers l’ouest et le Mississippi jusqu’à l’établissement de la Louisiane. On comprend donc que loin d’être une entreprise coloniale préparée, la direction prise par la conquête française est le fruit des conflits avec les iroquois qui forcent alors les colons à se tourner vers d’autres espaces et alliés, ce qui est concrétisé pour cette part avec la grande alliance avec les Miamis-Illinois, les Renards et les outaouais, cette fois ci non pas sous l’autorité de l’onontio, mais du grand onontio, c’est à dire le roi, nouvelle autorité dans le paysage américain, résultat de l’intervention royale dans les guerres.
C) La politique métropolitaine, alliée et ennemie de la réussite française
Pourtant si l’intervention du roi semble marquer un rééquilibrage des forces dans les conflits, il est intéressant de constater que mêmes si les accrochages directs sont anecdotiques, les iroquois entreprennent une guerre par dérogation en attaquant directement les autres tribus dès que les français s’en faisaient des alliées. Dès lors, si l’apport militaire français permet de pacifier en partie les colonies, il faut tout de même souligner les limites que pose la politique royale à l’effort de guerre. En effet si les iroquois ont toute liberté de s’en prendre aux Miamis et aux Illinois c’est bien parce que les aspirations françaises sont encore une fois freinées par un manque de volonté. Cette fois il ne s’agit pas d’une aspiration illusoire de paix mais d’une stratégie d’alliances poursuivie par les colons comme une nécessité qui n’est pas l’objectif affiché par Colbert, pourvoyeur de la politique royale. Le postulat affiché à Versailles est de fonder une colonie forte et prospère sur un espace délimité afin de d’importer de nombreuses ressources. Cette politique mercantiliste est à l’image de celle déployée en Europe, tournée vers la métropole. Dès lors il faut pour la couronne s’abstenir de trop investir mais plutôt fructifier le plus possible les efforts consentis. C’est donc sans ambages que Colbert écrit au gouverneur Frontenac « La volonté de Sa Majesté n’est pas que vous fassiez de grands voyage mais que vous resserriez les liens, habitiez des endroits fertiles plutôt que pousser les découvertes au dedans de pays si éloignés qu’ils ne peuvent jamais être habités ni possédés » Ce que l’historien Gilles Havard appelle la « colonisation compacte » méconnaît dont la réalité d’une véritable nécessité d’alliance avec les amérindiens, alliances impossibles à conclure sur la côte dès lors que les iroquois alliés aux anglais en composaient le seul intermédiaire, murés dans des guerres, d’abord de survie, ensuite de contrôle.
Si la politique royale d’intervention en Nouvelle-France rétablit quelque peu l’équilibre dans les conflits entre haudenosaunee et français, elle souffre de ne pas prendre pleinement la conscience de la teneur géographique du conflit. Si le roi comble les rivalités par une autorité centrale, la grande distance entre colonie et métropole, autant que les objectifs poursuivis permettent aux iroquois de poursuivre une guerre d’affirmation indirecte en sapant toute alliance française.
III- Le tournant des guerres et l’affirmation de la Nouvelle-France / (1684-1701)
Le revirement Louis quatorzien, comme l’appelle l’Historienne Cécile Vidal, ne marque pas seulement un essor militaire et colonial mais est un tournant dans la pensée guerrière iroquoise et française. La situation qui est la leur, mise à mal par les peuples voisins auxquels ils se sont attaqués et par la démonstration de force française les pousse à collaborer de plus en plus étroitement avec leurs alliés européens.
A) De la trivialité aux blocs, la polarisation des alliance entre européens et indiens
Si les premières décennies de guerres étaient constitutives d’une guerre coloniale et localisée, l’entrée en scène du grand-onontio va forcer les iroquois à chercher une puissance équivalente du côté des anglais. Dès 1684 alors que la reprise de la guerre se fait sentir les iroquois rencontrent leurs alliés Anglais pour s’assurer de leur soutien et de la fourniture de nouvelles armes. Lors du déclenchement des hostilités dès 1687 puis en parallèle de la guerre de la ligue D’Augsbourg, la teneur du lien change. En 1689 le massacre de Lachine s’illustre non pas comme une attaque unilatérale de la part des iroquois mais comme une opération planifiée destinée à affaiblir un des flancs de la nouvelle-France. L’attaque de 1690 sur Quebec par les colons britanniques semble confirmer la préméditation. Les guerres changent alors de teneur et de signification, elles ne visent plus à restreindre les français mais bien à s’en prendre ouvertement à eux. Dans les traités et la diplomatie déployée ce changement est palpable. En 1692,le chef Agnier présent à New-York dit aux anglais «Vous dites que je suis votre fils et vous mon père. Mais nous ne sommes pas père et fils, mais frères. » Subtilité anecdotique, elle est pleine de sens lorsqu’on étudie le rapport qu’ont les amérindiens à la famille. Le père est dans leur culture celui qui leur donne, les nourrit sans pour autant exercer d’autorité sur eux. Cette relation était valable lorsque anglais ne faisaient que troquer fourrure contre fusils. Dès lors qu’ils se battent ensemble, côte à côte, la fraternité est mise en avant, on comprend que le rapport a changé.
B) D’une politique défensive à une politique d’attaque, la teneur de la pénétration
Côté français également, la stratégie n’est plus à la défense mais à initiative. En 1685 les ordres du roi au gouverneur Brisay sont clairs, le délitement de la situation ne peut être toléré. La reprise des hostilités par les français doit être remise dans son contexte, celle d’une prise de conscience. D’abord que les conflits avec les indiens ont retardé considérablement l’établissement durable de la colonie, encore sporadiquement attaquée. De l’autre côté, la réalité nouvelle qui est celle du glissement des conflits européens vers l’Amérique, que les différentes entrevues entre iroquois et anglais ne manquent pas de souligner. Il devient donc évident que la première priorité est la fin des guerres, ce que souligne le fait que Frontenac lui-même prenne la tête du corps expéditionnaire de 1687. Dans cette dernière articulation, on voit donc que l’impact de la présence européenne sert de vivier à la continuité des conflits et polarise deux alliances. De plus, la reprise en main royale de la colonie permet une affirmation démographique qui se révèle essentielle. En 1696, Frontenac lève plus de 2000 hommes pour attaquer les Iroquois, qui dispersés sur les territoires conquis ne sont qu’en mesure de fuir, laissant les français piller et détruire les récoltes. On voit donc que la politiqueme défensive se confronte à l’impératif de détruire dans l’oeuf toute puissance conjointe anglo-iroquoise, en attaquant les plus faibles, les territoires ancestraux le long du lac Ontario.
C) D’une paix honteuse à une grande paix, apaiser le continent
Si l’enjeu européen marque une nouvelle phase des guerres, exacerbant les velléités entre partis, il s’avère paradoxalement être un élément clé pour la résolution du conflit. Peu à peu les colons, avec l’appui de leur métropole deviennent des interlocuteurs de plus en plus puissants. La fin de la ligue d’Augsbourg qui suit une année d’incursions françaises dans les territoires des haudenosaunee les prive du soutien des anglais, retirés du conflit par ordre de la couronne suite à la paix de Ryswick. Les iroquois, qui ne peuvent pas se passer des européens face à l’alliance franco-indienne doivent dès lors s’appliquer à la paix, l’objectif premier de cette offensive débutée en 1684 par les français, la domination des iroquois non pas la destruction mais par les traités est en passe de réussir. Les pourparlers entrepris pendant quatre années sont le fruit d’une étroite collaboration entre 39 nations et alors que les combats continuent de manière sporadique. Il est intéressant d’étudier le traité de 1701, aussi appelé grande paix de Montréal pour constater l’essor de la colonisation française comme étant avant tout une colonisation diplomatique. Sur la page des signataires, il y a trace des représentants de l’ensemble des peuples de la Louisiane au Canada, avec conjointement, des peuples historiquement ennemis comme les Hurons et les Agniers, les Onondagas et les Miamis, les Cayugas et les montagnais. Équivalant au traité signé, qui est une garantie culturelle européenne, les dignitaires fument le calumet et échangent des wampum, ceintures rituelles. Dès lors, on comprend que les guerres ont permis à la France de poursuivre une politique d’alliances efficaces.
Ainsi, dès lors que les iroquois sont confrontés à l’affirmation militaire de la France qui poursuit sa politique d’alliances , préférant opérer un contournement plutôt que des attaques frontales,, il devient urgent pour la ligue d’acquérir un soutien accentué de la part des anglais. Mais cette collaboration militaire qui caractérise la dernière partie du siècle les entraîne dans une trop grande dépendance, tandis que les français, conditionnés par la guerre, peuvent compter sur un réseau renouvelé.
Que conclure ?
In fine, l’analyse de ce siècle de conflits permet de mettre en lumière la construction d’un ensemble colonial français qui s’est formé au fur et à mesure des guerres que leur ont opposés les iroquois. Si les premières années semblaient condamner la colonie à la ruine, l’intervention du roi, fut-elle avant tout économique, a permis aux français de se saisir de cette chance pour rééquilibrer leurs forces, tout en composant avec ce que les guerres avaient apporté, à savoir un amalgame et une proximité avec les populations autochtones ainsi qu’une dynamique d’exploration entièrement tournée au delà de la zone d’influence iroquoise. Les guerres, en ce qu’elles drainent des contingents français, sont aussi ce tournant inespéré qui compense, aux côtés de la politique de natalité, les pertes engendrées par les conflits. Ainsi, la construction de son réseau d’alliés, tout comme l’acculturation se fait au fur et à mesure que les guerres ont fait évoluer sa manière d’occuper l’espace et de penser la paix. Pourtant, cette construction très autonome qui fait la force de la Nouvelle France en fait aussi sa faiblesse. La multiplicité des acteurs, l’étendue géographique issue de l’impossibilité de s’établir durablement sur la côte ne permet pas de peupler efficacement, si bien qu’en 1745 lorsque les colons britanniques menés par Georges Washington et James Wolfe attaquent les possessions françaises avec presque 50000 hommes, Montcalm, Lévis et Vaudreuil ne peuvent leur opposer que 10 000 colons et alliés, signant ici la la fin d’un chapitre entier de l’Histoire française en Amérique.
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