Il y a maintenant 80 ans, en juin 1940, la France capitule. Cet acte ouvre la période de l’Occupation avec l’invasion du pays dès le printemps et l’occupation de Paris par les troupes allemandes le 14 juin 1940. Entre juillet 40 et août 44, la mise en sommeil du régime républicain s’opère par l’adoption d’un régime autoritaire se traduisant par une « révolution nationale culturelle », entre autres choses. Mais qu’en est-il du cinéma français ? Si les années 1930 témoignent d’une véritable crise notamment d’exportation, il semble que l’Occupation donne un second souffle à l’industrie cinématographique. À la Libération, le constat est poignant : 220 longs métrages tournés entre 40 et 44, pas de films de propagande – sinon quelques documentaires. Analysons cette période, trop souvent mal présentée.
«Il n’y a guère d’autre période où le film français ait produit autant de chefs-d’œuvre en si peu de temps » écrit Alan Williams, un expert de l’histoire du cinéma. Si les faits politiques et sociaux dressent l’occupation comme l’époque « la plus sombre de notre histoire » il semble que certaines facettes de la vie quotidienne aient échappé à ce funeste destin. Si la temporalité de cette époque est figée dans notre histoire nationale telle une parenthèse forcée appuyée en cela par le rejet après-guerre du gouvernement de Vichy déclaré illégitime par son opposition à l’autorité à Londres et au CNR. Cette période, appelée occupation, fait suite à la débâcle de l’armée française en juin 1940, dépassée tactiquement et militairement par une armée allemande modernisée et ayant violé la neutralité de la Belgique pour envahir le territoire national. Des millions de Français suivent alors les routes de l’exode et le gouvernement signe le 22 juin 1940 l’armistice, actant par-là l’occupation officielle d’une partie de la France qui passe sous l’autorité du Reich. Celle-ci durera 4 longues années -excepté pour la Corse libérée dès octobre 1943- jusqu’au débarquement en Normandie le 6 juin 1944 et la débâcle de l’axe face aux forces alliées. La libération de Paris en août de la même année marque les esprits, « Paris outragée ! Paris brisée ! Paris martyrisée ! Mais Paris libérée ! » sont les mots forts du général de Gaulle qui marquent la fin des années noires pour la nation. C’est aussi qu’il s’agit de clore un chapitre, celui où la France vivait à l’heure Allemande, avec ses contraintes, ses dispositions et son impact sur la vie quotidienne. Économie, santé, politique, mais aussi les loisirs, dont le cinéma. Parfois désigné comme septième art -révélateur de l’importante place qu’il prend dans la culture populaire- ce mot dérivé de l’appareil inventé par les frères Lumière, le cinématographe, désigne dans son ensemble l’art qui en découle, des acteurs à la chaîne de production, en passant par le montage, mais également et surtout le lieu. « Aller au cinéma » est une expression bien marquée, déjà avant la guerre. Moment d’effervescence et de sociabilité, d’abord destiné au classes privilégiées -en témoigne l’incendie du bazar de la charité- Il va ensuite trouver un second souffle dans les classes populaires. Cette industrie née à la fin du XIXe siècle et qui émerge des propres mots d’Auguste Lumière, non pas d’un seul créateur mais d’une émulsion d’idées parallèles à travers le monde, se base sur le principe de chambre noire et d’une rapide succession d’images sur une bobine, chacune retranscrivant un mouvement permettant au spectateur d’être témoin d’une véritable animation. Spectacle immersif, il connaît un rapide essor commercial puis technique avec l’invention des films parlants dès les années 1920. Le cinéma français d’abord en pointe décline durant la grande guerre -la mobilisation générale vide les productions de ses techniciens et acteurs- et finit par être dépassé dans l’entre deux guerres par les superproductions Anglo-saxonnes. Pourtant alors relégué à un cinéma en plein déclin, il bénéficie lors de l’occupation d’une dynamique nouvelle, malgré les difficiles conditions d’exploitation et de production dues au conflit. L’intrigante profusion de films et l’impulsion donnée au cinéma français durant la guerre a donné lieu à de nombreuses études par des auteurs et historiens comme Jean-Pierre Bertin-Maghit, ou plus récemment Jean-Louis Ivani ou encore Christine Leteux plus spécifiquement au sujet de continental-films. Si les positions sont parfois contradictoires sur la vraie nature du cinéma à cette époque, notamment l’intensité de la propagande à laquelle il est supposément soumis, tous tombent d’accord sur les conditions favorables dont a bénéficié le 7e art durant ces années. Nous nous focaliserons sur la période de 1940, début de l’occupation et de l’implémentation massive des forces allemandes dans la société française, jusqu’à la libération en 1944 comme bornes chronologiques. Il est aussi pertinent, parce que le traitement du média audiovisuel diffère entre zone libre et zone occupée, de considérer l’occupation comme une période donnée et non pas comme un espace géographique, ce qui nous permet de pousser l’étude sur l’ensemble du territoire français, rendant mieux compte des différences existantes dans la forme et le fond. Parce que guerre économique mais aussi idéologique, nous pouvons donc nous demander en quoi les années noires, entre âge d’or et clivages idéologiques, représentent un terreau fertile à la stabilité et l’essor d’un nouveau cinéma en France.
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