Le 21 avril 2021, l’hebdomadaire d’opinion Valeurs actuelles diffuse une tribune co-signée par des milliers de militaires sous l’égide de Jean-Pierre Fabre-Bernadac, officier de carrière et responsable du site Place Armes, adressée au président de la République Emmanuel Macron. Cette adresse, parce qu’elle émane aussi de généraux retraités, est retenue comme un affront envers l’autorité publique et une menace pour la stabilité du régime républicain. En faveur de la « sauvegarde de la nation », les militaires accusent effectivement de laxisme le gouvernement participant, peu à peu, à l’avènement d’une « guerre civile » et bafouant en cela le devoir de réserve. La présidente du Rassemblement national a publié, à son tour, une lettre adressée aux militaires et publiée sur le site Place d’Armes, exprimant son soutien et invitant les signataires à exprimer leurs revendications par la voie des urnes. Cet appel au vote émanant d’un parti d’extrême droite nous rappelle les liens intimes qu’entretient l’armée à l’égard des droites radicales. En pleine restructuration après les échecs politiques au cours de l’entre-deux-guerres (1918-1939), les droites radicales s’affirment et évoluent effectivement au prisme d’une militarisation des mouvements – tant dans le renouvellement des effectifs que dans l’évolution des préoccupations mises à jour. Voyons, par une analyse historique, la manière dont l’armée constitue le cœur battant des droites radicales – entre renouveau et espoir déchu.
« S’ils s’obstinent ces cannibales à faire de nous des héros, il faut que nos premières balles soient pour Blum, Mandel et Reynaud. »
Charles MAURRAS, numéro du 27/09/1938, Action française.
À deux jours de l’ouverture de la conférence de Munich (30 septembre 1938), ces mots écrits par Charles Maurras et publiés dans le numéro du 27 septembre 1938 de l’Action française, témoignent d’un soutien à l’égard des accords de Munich, convaincu est le leader de l’Action française, de la nécessité de ces accords pour combler le retard militaire provoqué par la politique du Front populaire – selon Maurras. Alors qu’émerge un débat sur le devoir français d’engagement militaire contre l’Allemagne d’Hitler, tandis que les traités internationaux sont bafoués, les droites radicales sont déjà divisées sur la question militaire de l’engagement en dépit d’un consensus unanime : la gauche a désarmé la France, impuissante. C’est cette relation de défense de l’armée et d’opposition frontale presque militaire – que l’on peut observer au prisme de cet appel au meurtre – qu’il convient d’analyser.
Précisément, les droites radicales désignent, au sens large, les partis et mouvements d’extrême droite d’opposition. Ces droites sont caractérisées par un nationalisme de fermeture cherchant à lutter contre l’idéal libéral de société ouverte et plaçant des valeurs militaires et conservatrices au centre de leurs préoccupations. Si le terme de « droite radicale » est, en sciences politiques, une terminologie contemporaine des mouvements d’opposition, ce terme focalise son attention sur ce que l’historien René Rémond nomme les « nationalistes » à savoir la partie de l’extrême droite non ralliée à la République au début des années 1880 et perdurant au cours de la IIIe République avec le souci premier d’affirmer l’État-nation et de lutter contre le parlementarisme démocratique. Justement, l’armée est le centre du discours de défense de ces droites radicales plaçant cette organisation souveraine de défense nationale absolument au-dessus des prérogatives géopolitiques, économiques et financières. L’armée est la structure de défense nationale et demeure, aux yeux des droites radicales, l’affirmation de la souveraineté nationale. Toutefois, cette organisation est aussi une source potentielle d’audience et d’acteurs pour les droites radicales n’hésitant pas à se nourrir, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, d’un contexte militaire défavorable aux gouvernements pour affirmer son soutien et se recomposer au prisme de l’armée. À la fois audience, source d’acteurs et véritable motivation politique, l’armée est ce qui structure les droites d’opposition tout en affirmant leur radicalité. D’un gouvernement national, les droites d’opposition, parce qu’elles ont une relation radicale avec l’armée, se mettent en marge et se divisent.
Il faut dire, que la capitulation de la France et la signature de l’Armistice le 22 juin 1940 ouvre la voie à une occupation du territoire par les Allemands. Le régime de Vichy, gouvernement national, s’affirme lors du vote des pleins pouvoir le 10 juillet 1940 avec l’ajournement sine die du parlement. La défaite française est, au cours du régime de Vichy, présentée comme le résultat de la politique de démilitarisation du Front populaire fustigeant la ligne Maginot et d’un régime politique parlementaire faible. En réalité, cette démilitarisation n’est pas la manne du Front populaire qui cherche même à s’engager auprès des républicains espagnols lors de la Guerre d’Espagne (1936-1939). La non-intervention française adoptée et défendue par la droite ainsi qu’une partie des nationalistes à l’heure d’un pacifisme, entretient un isolement français néfaste à la débâcle de juin 1940. Quoi qu’il en soit, les droites radicales ont une relation intime à l’égard de l’armée et place la priorité nationale absolument au-dessus des autres préoccupations politiques alors que la crise des années 1930 favorise aussi des tensions politiques frontales d’opposition commanditées par l’extrême droite, notamment lors de la crise parlementaire du 6 février 1934. Les droites radicales sont donc celles de l’opposition désunie, ce que les accords de Munich vont confirmer ainsi que la sortie de guerre. Si les droites d’opposition s’accordent à dire que les accords de Munich devaient être signés, la question de l’intervention française, dans le cas où Hitler bafouerait une nouvelle fois un traité international, divise ces mêmes-droites. L’Action française demeure enracinée dans son discours de défense envers l’ennemi intérieur qu’est la République parlementaire mais certains du PSF – le parti social français de Pierre La Rocque – abandonnent le consensus autour du pacifisme pour œuvrer vers un engagement militaire contre Hitler. Dès lors, dans ce contexte de division interne mais d’une défense des valeurs traditionnelles de la droite nationale, le régime de Vichy incarne l’espoir d’un gouvernement national efficace et plaçant la France au cœur du camp de la victoire. L’armée déjà, si elle est un sujet propice à l’expression des idéaux radicaux de droite favorise une division interne comme témoignage des années de guerres de décolonisation et jusqu’en 1972 lors de la fondation du Front national.
Historiquement, l’armée n’a pas toujours été associée à l’extrême droite voire la droite dans sa globalité. L’armée est d’abord révolutionnaire un temps – à gauche – avec les jacobins fustigés par les royalistes. Mais le discours de défense des droites nationalistes au XIXe siècle participe à la « sénestrisation » de la vie politique, c’est-à-dire un basculement de notions rapportées à gauche vers la droite. Dans l’historiographie et notamment depuis les travaux de René Rémond et de Michel Winock, l’extrême droite et plus globalement la droite radicale est une nébuleuse mais se concentrant, dès l’avènement de la IIIe République dans les années 1880, à un nationalisme actif de conquête et de parti souvent intellectuel. Jean-Pierre Azéma identifie le régime de Vichy comme la synthèse des nationalismes du début du XXe siècle. L’idéologie vichyssoise, et notamment l’organicisme défendu par Pétain, reprend des thématiques propres à l’Action française ou encore de La ligue des patriotes, tant dans la défense d’une structure hiérarchique contre l’individualisation des sociétés que dans la promotion de l’antiparlementarisme. Le régime de Vichy est le point de départ d’une refondation des droites radicales avec la disparition un temps du nationalisme de parti – de conquête. L’armée constitue aussi bien les phases de rééquipement idéologique pour les droites radicales que le moment de division.
Pour analyser ce paradoxe, l’historien dispose de sources largement littéraires qu’il convient d’analyser et de critiquer au prisme d’un contexte à définir. Les discours constituent une source privilégiée pour comprendre l’idéologie des droites radicales, d’abord au pouvoir sous Vichy, ce que le discours de Pétain du 8 juillet 1941 permet d’éclairer en présentant le projet de « révolution nationale ». Mais, pour analyser les recompositions des effectifs au prisme de l’armée des droites radicales, l’historien doit porter une attention particulière aux sondages – afin d’analyser les nouvelles audiences notamment à la faveur des guerres de décolonisation – mais aussi des personnages structurant ou entendant structurer la droite radicale comme une force politique. Jean-Louis Tixier Vignancourt, avocat de l’extrême droite et candidat aux élections présidentielles de 1965 répond de cet objectif. Enfin, il convient de porter une attention particulière aux organisations notamment l’OAS – organisation de l’armée secrète – témoignant d’un virage radicale voire terroriste de ces droites d’opposition.
Dès lors, en quoi l’armée incarne-t-elle les espoirs d’une droite d’opposition hétérogène et radicalisée jusqu’à devenir la cause des échecs d’unité et de victoires électorales ? Autrement dit, les droites d’opposition, si elles parviennent à renaître au prisme de l’armée, ne se délitent-elles pas par un radicalisme inhérent au nouvel effectif militaire ?
C’est pourquoi, il convient d’une part d’analyser la contradiction du moment national des droites radicales au cours du régime de Vichy, plus que jamais divisées sur la question de la collaboration (I) avant de comprendre que les guerres de décolonisation favorisent un renouveau structurel pour les droites radicales au prisme de l’armée (II). Enfin, et en dépit d’un contexte pourtant favorable, les droites radicales n’ont pas su s’imposer à travers un discours militaire perçu trop radical et exclusivement d’opposition par les Français soulignant leur échec (III).
I – Le régime de Vichy et l’armée : le moment national contradictoire des droites radicales
Tout d’abord, le régime de Vichy est le moment national contradictoire des droites radicales plaçant l’armée comme un idéal de souverainisme. Si Vichy défend l’armée et une collaboration de défense (a) elle se heurte à une résistance vichyssoise non structurée mais qui met en exergue une division au sein des droites radicales (b). L’échec du régime de Vichy semble éteindre les droites d’opposition qui tendent à infléchir de nouvelles idées pour renaître et résister à l’épuration (c).
A) Un collaborationnisme de défense : l’armée cœur battant du projet de Vichy …
Vichy fustige la politique militaire du Front populaire et défend l’armée comme non responsable de la débâcle. Le 30 octobre 1940, le chef de l’État français annonce le choix d’entrer dans « la voie de la collaboration » défendant une collaboration de défense plus qu’idéologique – cette dernière étant une forme rare de sympathie et d’adhésion idéologique au projet hitlérien. Avant novembre 1942 et la suppression par les Allemands de la ligne de démarcation en février 1943, le régime de Vichy entend satisfaire les exigences de l’occupant pour assurer la défense nationale. L’exemple de l’expression « esprit de Montoire » défendue par Pétain atteste de cet état d’esprit très vite écarté par une volonté de satelliser l’État français au IIIe Reich. Laval, le chef du gouvernement, défend une collaboration sans réserve et fonde même la Milice française en janvier 1943. Cette collaboration intégrale de l’État français est en réalité une radicalisation du collaborationnisme des années 1943 – même militaire. La Légion des volontaires français (LVF) est fondée en juillet 1941 pour lutter contre l’expansion du bolchévisme, une thématique très présente au sein du projet d’Adolf Hitler. Faut-il rappeler également la présence de volontaires au sein de la Waffen SS Frankreich – la SS française. Au total, les historiens estiment l’engagement militaire et policière de cette collaboration intégrale entre 8 500 et 9 000 citoyens français. Cette collaboration aussi défensive puisse-t-elle être défendue est l’illustration d’aussi bien une défense de l’armée dans cette non responsabilité de la guerre que d’une présence fondamentale de l’armée dans le programme politique de Vichy. Le discours du 8 juillet 1941, véritable programme idéologique, est l’occasion de défendre le projet de « révolution nationale ». Pétain cherche à restructurer la société française en restaurant la hiérarchie traditionnelle qu’est la famille mais aussi l’armée. L’école des cadres d’Uriage fondée en 1940 par Pierre Dunoyer de Segonzac et soutenue par Pétain, est l’occasion de former les élites patriotes. Les « chevaliers d’Uriage », nom que se donnent les membres de l’école, sont destinés à incarner les figures de la Révolution nationale en plaçant les valeurs militaires, patriotiques au centre de la formation.
Ainsi donc, l’armée est le cœur battant du projet de Vichy cherchant à collaborer pour défendre les intérêts français tout en prônant une révolution nationale et reprenant peu ou prou les idéaux des droites radicales de l’entre-deux-guerres.

B) … mais une résistance vichyste non structurée
Pour autant, le régime de Vichy est déjà le moment d’une division interne des droites radicales entre les partisans maréchalistes voire collaborationnistes et les résistants vichystes. Les « vichysto-résistants », pour reprendre l’expression définie par les historiens français Denis Peschanski et Laurent Douzou, correspondent à une résistance singulière cherchant, au prisme de leur idéologie nationaliste de nuire à l’ennemi allemand identifié. Certains cherchent même à peser sur la politique vichyssoise en gagnant en responsabilité pour œuvrer en faveur de la revanche. L’Organisation de résistance de l’Armée (ORA), fondée suite à l’invasion de la zone libre par les Allemands en janvier 1943, regroupe de puissants haut fonctionnaires du régime de Vichy dont François Mitterrand. D’autres par l’intermédiaire d’organisations militaires souvent clandestines ; l’exemple de Maurice Pinot est éloquent. Commissaire National aux Prisonniers de Guerre de 1940 à 1943, il est un pétainiste engagé contre la politique de collaboration intégrale de Laval, l’invitant même à démissionner. Co-fondateur du Rassemblement national des prisonniers de guerre, il s’engage dans la résistance sans pour autant soutenir le Général de Gaulle. L’armée joue donc un rôle double au sein du régime de Vichy pouvant aussi et d’une manière clandestine être à l’origine d’une résistance vichyssoise mais non structurée comme celle de Londres et émanant de groupes isolés. Ainsi comprise, la résistance vichyste s’organise au prisme de hauts fonctionnaires en désaccord politique avec Laval et est non collaborationniste. L’armée occupe toujours une place centrale et devient clandestine, même dans le cadre de la résistance vichyste.
C) Finalement, résister contre l’épuration sauvage pour exister
Le régime de Vichy, par son virage lavalisant radical de collaboration intégrale, place l’extrême droite au pouvoir comme une radicalité politique à éliminer pour les républicains. Dès la Libération, les droites radicales divisées sont l’objet d’une épuration sauvage puis encadrée notamment concernant les pétainistes associés alors aux collaborationnistes sans aucune distinction. La mémoire gaullienne développée dès le GPRF – le Gouvernement provisoire de la République française – souhaite annihiler l’existence de Vichy à ne pas associer avec la France. Frédéric Bozo à travers sa politique étrangère de la France depuis 1945 (1995) démonte l’importance de ce discours pour que la France paraisse aux côtés des vainqueurs. Quoi qu’il en soit, Vichy n’est ni la Résistance ni la France mais est l’occupant allemand qu’il convient d’éliminer. L’épuration sauvage aurait fait entre 10 000 et 11 000 morts selon les travaux de Philippe Bourdrel (L’épuration sauvage, 2002). Si certains sont amnistiés, les droites radicales cherchent à se défendre et justifier la politique militaire entreprise. L’armée si elle est la structure de Vichy a donc été également sa source d’un délitement des droites radicales et d’une collaboration militaire dénoncée par les républicains après la Libération alimentant le discours d’une extrême droite collaborationniste. En janvier 1945, Charles Maurras entreprend sa défense lors de son jugement en dénonçant le raccourci effectué par le rapprochement entre ceux qui s’opposent au gaullisme et ceux qui collaborent. Adhérer à Pétain est selon lui à distinguer de la collaboration intégrale. L’armée joue une nouvelle fois un rôle important dans cette épuration et est la cause de l’épuration des droites radicales en ce qu’elle est perçue comme collaborationniste pour une partie. Les premières mesures du GPRF reprennent l’idée de l’école des cadres d’Uriage en fondant l’École nationale d’administration (ENA) cherchant à former les futurs haut fonctionnaires indépendamment de leurs origines sociales. L’armée française est redéfinie comme régulière et comportant les FFI – forces françaises de l’intérieur – mettant un terme à la Milice française épurée.
Donc en cela, l’armée constitue le pôle dominant du programme défendu par Vichy de « révolution nationale ». Pour autant et parce qu’elle est utilisée dans la collaboration intégrale, l’action de l’armée vichyssoise a raison des droites nationalistes au cours de l’épuration étant à l’origine également et un instrument d’une résistance non structurée et occultée en 1945. Le réveil des droites radicales au prisme des guerres de décolonisation vont être à l’origine d’un renouveau mais aussi d’un radicalisme politique.
II – Une radicalisation des pensées et des effectifs au prisme de l’armée à l’heure des guerres de décolonisation
Les guerres de décolonisation au sortir de la Seconde Guerre mondiale restructurent les droites radicales et participent à une nouvelle forme politique de radicalisation. Si elles constituent d’abord un cycle d’éveil renouvelant une audience en berne et favorisant l’émergence de nouveaux acteurs militaires (a) les guerres de décolonisation constituent le moment radical des droites d’opposition fleuretant avec le terrorisme de terrain dans l’objectif de maintenir l’Algérie française et soutenant les généraux (b). Toutefois, cet éveil brutal s’éteint par un manque d’identité politique désincarné dans les années 1950 (c).
A) Les guerres de décolonisation : un cycle d’éveil pour l’audience et de renouveau pour les effectifs
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et alors que les droites radicales sont mises en sommeil par l’épuration, les guerres de décolonisation que le philosophe allemand Oswald Spengler s’opposant à la République de Weimar identifie comme étant un « cycle de l’abandon des métropoles », s’apparentent à une manne tombée du ciel favorisant une recomposition structurelle des effectifs des droites radicales. Les militaires et anciens combattants d’Indochine déçus et traumatisés par la défaite de Dien Bien Phu (mai 1954) favorisant la perte de la colonie d’Indochine, incarnent de nouveaux acteurs composant les droites extrêmes. Le mouvement Jeune nation fondé par Albert Heuclin et les frères Sidos – Jacques, Pierre et François – en 1949, regroupe d’anciens combattants de la guerre d’Indochine favorables au maintien de l’Algérie française. Ce mouvement défend un programme fasciste approbateur à un soulèvement, véritable appel à l’action radicale, ce qui plait aux anciens combattants avides de vengeance. Jean-Marie Le Pen est aussi à l’origine du Front national des combattants (FNC), fondé en 1957 et qui succède à l’éphémère Mouvement national d’action civique et sociale (MNACS), dissident de l’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA) et présidé par Louis Alloin. Regroupant d’anciens poujadistes, ce mouvement – le FNC à la manière de Jeune Nation – appelle à la mobilisation en faveur du maintien de l’Algérie française et entretenant une aspiration belliciste de violence. Ainsi, la recomposition de la droite radicale s’opère au prisme des guerres de décolonisation d’abord sous l’hospice d’acteurs militaires et de mouvements politiques entretenant leurs aspirations de vengeance. L’audience, elle, se reconstruit en plaçant l’antiparlementarisme au cœur, de nouveau, des préoccupations des droites radicales, profitant en cela des décolonisations et des échecs de la IV République parlementaire. Pour autant, si les guerres de décolonisation sont l’occasion d’éveiller de vieilles thématiques, l’activisme politique est à son apogée et les militaires plus que jamais soutenus sont à l’origine d’un radicalisme de terrain.

B) Une radicalisation politique des actions : vers le terrorisme de terrain …
Les pensées ainsi que les effectifs se radicalisent et se militarisent au cours de la guerre d’Algérie (1954 – 1962) – « événements » pour l’heure. Les droites radicales s’implantent à Alger en favorisant l’émergence d’activiste pro-armée française d’Algérie s’opposant au MTLD – mouvement du triomphe des libertés démocratiques prônant un nationalisme algérien et une indépendance. Le 6 février 1956 sont lancées des tomates à l’encontre du président du Conseil de la République Guy Mollet, un passage décrit par Claude Paillat dans Vingt ans qui déchirèrent la France (1969). Bien sûr cette radicalisation activiste où d’anciens combattants et militaires joignent leurs forces en faveur de la défense de l’Algérie française, est incarnée par l’Organisation de l’Armée Secrète. Fondée en février 1961 par Jean-Jacques Susini, Pierre Lagaillarde, l’OAS entend lutter contre le FLN, le Front de Libération National algérien qui commet une série d’attentats en 1956. Les droites radicales sont françaises mais le radicalisme est aussi présent chez les tenants de l’Algérie algérienne. Selon les historiens et notamment les travaux d’Olivier Dard, plus d’un tiers des effectifs de l’OAS correspond à des militaires, incarnant cette recomposition structurelle des droites radicales, songeons au colonel Godard dirigeant l’organisation dès mai 1961. Surtout, le 21 avril 1961, une tentative de coup d’État est organisé par quatre généraux présents en Algérie – Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller – en réaction à la politique jugée d’abandon du gouvernement de la Ve République à l’égard de l’Algérie. Ce putsch d’Alger est avorté mais manifeste un nouveau champ d’action pour l’activisme de la droite radicale fleuretant avec le terrorisme. Cet activisme est aussi présent en métropole qu’à Alger. Dès lors, les guerres de décolonisation radicalisent les pensées des droites d’opposition et voient ainsi l’émergence d’un activisme politique d’opposition frontale s’engageant en faveur du maintien des colonies.

C) … en manque d’identité politique
Seulement, l’identité politique des droites radicales est, au cours du cycle de décolonisation, introuvable. Les activistes ont un parcours politique singuliers et l’OAS par exemple regroupe des aspirations différentes malgré un consensus autour de la nécessité de conserver l’empire colonial français. Les civils de l’OAS sont des hommes de gauche tels que les universitaires ; ou bien des poujadistes voir des royalistes (l’exemple de Jean-Paul Angelleli). L’OAS concentre une véritable nébuleuse des droites radicales et le débat porte sur l’objectif final : doit-elle être politique et électoral ? Des figures de l’extrême droite émerge comme l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancourt mais les débats au sein des droites radicales ne permettent pas une audience unie et des acteurs solidaires. L’OAS, qui caractérise véritablement les droites radicales au cours des guerres de décolonisation, porte des divisions sur la question algérienne et son statut non défini – avec en guise de toile de fond cette question sur le statut de l’Algérie, associée ou fédérée à la France ? La manière dont l’action de l’OAS doit être organisée est également l’objet d’un débat même si l’activisme terroriste semble gagner les rangs de l’organisation. L’action de l’OAS et des droites radicales est profondément un activisme terroriste comme l’illustrent les nombreux attentats du 7 février 1962 visant plusieurs personnalités politiques françaises et intellectuels comme André Malraux. L’identité politique, hormis ces actions de lutte armée, n’est pas constituée et les droites d’opposition s’enlisent dans le radicalisme sans adopter le moindre programme précis.
Ainsi compris, le cycle des décolonisations ouvre la voie à une recomposition structurelle pour les droites radicales avec un renouvellement des effectifs largement militarisés mais regroupant des civils divisés sur des questions cruciales constitutives d’une identité politique absente. La radicalisation des droites extrêmes est incarnée par l’OAS. Sans un programme politique défini véritablement et à l’heure du gaullisme éteignant les vieilles thématiques antiparlementaristes notamment, les droites radicales comprenant qu’elles n’ont pas le monopole de la défense de l’armée aux yeux de l’opinion publique.
III – L’échec politique et électoral des droites radicales à l’aube des années 1970 : les droites radicales ou le monopole avorté de l’armée
Cet éveil brutal est finalement un échec électoral et politique pour les droites radicales, l’armée devenant l’objet d’un monopole maîtrisé par les gaullistes. D’abord, en dépit d’une tentative de rapprochement des droites radicales avec les droites traditionnelles se reconnaissant en la Ve République orchestrée par le Général de Gaulle et favorables au maintien de l’Algérie française (a), le discours pour l’autodétermination coupe court aux relations entre la droite gaullienne et les droites radicales cherchant à trouver une alternative politique au prisme d’un discours militarisé de défense (b). Ce discours est justement rejeté par l’électorat français approchant les droites d’opposition à un radicalisme terroriste dangereux et néfaste au débat public (c).
A) Une relation ambiguë à l’égard de la droite traditionnelle
Lorsque la Ve Constitution est promulguée le 4 octobre 1958, l’antiparlementarisme n’est plus légitime au sein du débat public. Les droites radicales, comprendre d’opposition à la IVe République et nationalistes, entretiennent des liens avec certains gaullistes ce qui recompose le paysage et confirme la position pro-Algérie française des extrêmes droites. Jacques Soustelle, gouverneur de l’Algérie française entre 1955 et 1956 est actif dans la lutte en faveur de l’Algérie française aux côtés du Rassemblement pour l’Algérie française, fondé le 19 septembre 1959 – trois jours après le discours de l’autodétermination prononcé par de Gaulle – et regroupant des membres du parti radical comme Georges Bidault. Les droites radicales sont plurielles et la défense pour l’Algérie française n’est pas le monopole du discours nationaliste d’extrême droite ce qui a une conséquence considérable dans le paysage électoral français. Sans doute, la voie d’un activisme politique offensif illustre une volonté de se démarquer des droites traditionnelles et de rompre avec le gaullisme lorsque, le 16 septembre 1959, le président de la République française ouvre la voie à l’indépendance de l’Algérie. Perçue comme une trahison au sein de l’armée française, les droites radicales se positionnent et se constituent autour de l’OAS, précisément dans l’objectif d’incarner les valeurs de défense de l’empire colonial prônées par les militaires français, majoritairement anciens combattants d’Indochine et d’Algérie. Ainsi donc, les droites radicales ont entretenu une relation avec les droites traditionnelles regroupant les déçus du gaullisme mobilisant des militaires. Ils ne sont pas les acteurs principaux mais cette relation porte une conséquence : la défense de l’armée n’est pas le monopole de l’extrême droite.
B) Une tentative d’une alternative au gaullisme finalement radicale : le développement d’une mémoire de la guerre d’Algérie …
C’est dans un objectif de conquête politique que les droites radicales cherchent à se structurer dans le but d’incarner une alternative crédible au gaullisme. Si les déçus du gaullisme – les plus radicaux d’entre eux – ont rejoint les rangs de l’OAS et de certains mouvements d’extrême droite, la réforme constitutionnelle de 1962 introduisant l’élection au suffrage universel direct du président de la République place un nouvel objectif électoral : les présidentielles de 1965. Le discours de l’OAS est militarisé et défensif. Ses membres se présentent comme les défenseurs de la nation France légitimes. Le programme présidentiel du candidat d’extrême droite Jean-Louis Tixier Vignancourt met pourtant bien plus l’accent sur la cohésion de la patrie française et des investissements en faveur d’un « équipement pour la France » en matière fiscale et d’infrastructures – véritable programme de relance. Mais les droites radicales introduisent une autre thématique lors de la disparition des colonies françaises : la fin de la « civilisation occidentale ». Il est question ici d’un discours de défense contre le Général de Gaulle, contre la gauche et le communisme, rejetant le virage libéral de la société française et préparant en cela le Front national de 1972. « Mai 68 » est l’occasion d’observer ce virage radical qui ne gagne pas l’électorat français dans les années 1960. L’article paru au sein du journal Rivarol le 16 mai 1968, témoigne de cette mémoire de la guerre d’Algérie développée par les droites radicales. La perte de l’Algérie, les frondes étudiantes au même titre que la syndicalisation de la société française participent à la crise de la société occidentale selon Rivarol. Les droites radicales n’entendent ni soutenir le pouvoir en place cherchant à circoncire le désordre social et l’affront envers les CRS ni à soutenir les manifestants contre de Gaulle. C’est cette position ambigu et sans identité qui caractérise les droites radicales au sortir d’un éveil mis en échec par le gaullisme au cours des guerres de décolonisation. La mémoire algérienne soutenue par les droites radicales sentimentalise l’armée française et accuse le Général de trahison envers son armée. « que le général l’avait été, dix ans plus tôt à confisquer l’insurrection algéroise pour réussir une rentrée qu’il n’espérait plus ». Ces mots présents au sein de l’article du journal Rivarol accuse de Gaulle de s’être servi des événements d’Algérie pour un intérêt personnel soulignant en cela un jeu de dupe à l’égard de l’armée et des Français. Ce discours est déjà tenu par Jean-Marie Le Pen, le 20 mars 1962 devant l’Assemblée nationale et dénonçant la trahison du Général « parce que toute politique qui est contraire à l’Algérie française est une politique de trahison et doit être combattu comme telle ». Ce discours de défense de la mémoire algérienne des droites radicales entend s’inscrire dans l’objectif nouveau des années 1960 : la dénonciation d’une société occidentale en déclin et de principes français bafoués par de Gaulle. L’armée est, définitivement, le cœur battant des droites radicales véritable levier d’éveil mais sans identité apparente et une structure convaincante avant 1972.
C) … mettant en marge les droites radicales à l’orée des années 1970
Précisément, ce discours de défense est radical et ne convainc pas les Français rejetant le radicalisme des droites d’opposition. Jean-Louis Tixier-Vignancourt ne parvient pas à s’illustrer et rassemble 5,20% des suffrages en 1965 appelant à voter pour François Mitterrand au second tour – fait inédit pour un candidat d’extrême droite, de jure. Aux législatives de 1967, les droites radicales ne parviennent pas à s’implanter et le succès poujadiste semble inexorablement s’éloigner des frontières. Aucun siège n’est remporté au sein de l’Assemblée nationale. L’armée n’est pas le monopole des droites radicales de sorte que les gaullistes sont parvenus, au prisme de « Mai 68 » notamment, à incarner un discours d’ordre. En lieu et place de cela, les droites radicales sont confrontées, une nouvelle fois, à une série de procès d’anciens militaires d’Algérie et d’activistes de l’OAS notamment à l’occasion de l’opération Charlotte Corday que l’on retient comme « l’attentat du Petit-Clamart » perpétré contre le président de Gaulle. Raoul Salan, l’un des putschistes, est par exemple condamné à la prison à vie le 23 mai 1962 par le Haut tribunal militaire alors que le général Edmond Jules René Jouhaud est condamné à mort par le même tribunal dissous, de facto, par le Général suite à cette contradiction. Les droites radicales, comme au sortir de Vichy sont donc mises en cause par l’activisme terroriste sans parvenir à mobiliser suffisamment de partisans en faveur de l’Algérie française. Les valeurs défendues sont épurées et gagnées par les gaullistes, mettant en marge les droites radicales qui ont un avenir dessiné : un discours idéologique qu’il convient désormais d’unifier sous l’hospice d’un parti politique de rassemblement de ces radicalités de droite.

Que conclure ?
In fine, analyser la relation qu’entretiennent l’armée et les droites radicales est cette étrange expérience de saisir l’ambiguïté structurelle des nébuleuses composant les droites d’opposition. D’abord, le régime de Vichy place l’armée comme une valeur de souverainisme et de reconstruction nationale à défendre, conjuguée est cette organisation à la politique collaborationniste défensive d’une part, et intégrale, d’autre part. Pour autant, la formation d’organisations militaires clandestines composent aussi une résistance vichyste qu’il ne convient pas d’occulter et attestant d’une division sur la question de la collaboration au sein des droites radicales. A l’heure du cycle des décolonisations, particulièrement à l’aune des évolutions de la guerre d’Algérie, les droites radicales se recomposent et entament une restructuration avec de nouveaux acteurs militaires composant le champ politique des droites radicales. L’activisme politique est souvent terroriste et le radicalisme devient une opposition frontale à l’encontre du Général après ce qui est perçu comme l’abandon de l’Algérie française. L’épuration a été contre le régime de Vichy mais aussi contre l’activisme de l’OAS et les putschistes.
L’armée est donc à la fois un espoir de recomposition pour les droites radicales mais est finalement source d’un échec politique et électoral se démultipliant au cours des décennies, particulièrement entre 1940 et 1972. Déliées, les droites radicales parviennent à s’unir en 1972 sous l’hospice du Front national de Jean-Marie Le Pen prônant de nouvelles thématiques prometteuses pour l’extrême droite tant de défense d’une société occidentale jugée déclinante que d’un souverainisme à l’heure d’une construction européenne fédérale et supranationale.
Bibliographie :
Ouvrages généraux :
- TOUCHARD Patrice, BERMOND-BOUSQUET Christine, CABANEL Patrick, LEFEBVRE Maxime, Le siècle des excès – de 1870 à nos jours, Paris, PUF, 1992.
- WINOCK Michel, Le Siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997.
- BERNARD Mathias, La guerre des droites : de l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Odile Jacob, 2007.
Ouvrages spécialisés :
- ALGAZY Joseph, L’extrême-droite en France de 1965 à 1984, Paris, L’Harmattan, 1989.
- GAUTIER Jean-Paul, Les extrêmes-droites en France, Paris, Editions Syllepse, 2009.
- DARD Olivier, Voyage au cœur de l’OAS, Paris, Perrin, 2005.
- RICHARD Gilles, SAINCLIVIER Jacqueline (dir), La Recomposition des droites en France à la Libération 1944-1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.
Outils :
- RÉMOND René, Les droites en France, Paris, Aubier-Montaigne; [4e éd., rev. et mise à jour] édition, 1992.
- BERSTEIN Serge et Gisèle, Dictionnaire de la France contemporaine, TOME II : de 1945 à nos jours, Paris, Éditions Complexes, 1995.
Articles :
- DARD, Olivier. Les droites radicales et l’empire colonial au vingtième siècle In : À droite de la droite : Droites radicales en France et en Grande-Bretagne au XXe siècle [en ligne]. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2012 (généré le 07 février 2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/septentrion/16168>.
- Souillac Romain, Le mouvement Poujade. De la défense professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962). Presses de Sciences Po, « Académique », 2007, 416 pages. ISBN : 9782724610062. URL : https://www.cairn.info/le-mouvement-poujade–9782724610062.htm
Sources :
- SPENGLER Oswald, Le Déclin de l’Occident, II tomes, 1918-1922, République de Weimar.
- TIXIER-VIGNANCOUR Jean-Louis, J’ai choisi la défense. Paris, Éditions de la Table ronde, 1964, Livre préfacé par le bâtonnier Jacques Charpentier.
- PAILLAT Claude, Vingt ans qui déchirèrent la France (la décolonisation sanglante : Liban- Indochine- Tunisie- Maroc-Algérie) Vol 1: Le Guêpier (1945–1953) Vol 2: La Liquidation (1954–1962), Paris, 1969.
- Discours du maréchal Pétain, 8 juillet 1941.
- Lettre de l’OAS aux conseillers généraux (novembre 1961).
- Numéro du 16 mai 1968, Rivarol.