Dans ses Règles de conduite pour l’amitié entre personnes inégales, le philosophe Aristote affirme comme une assertion morale qu’« on n’honore pas le citoyen qui ne procure aucun bien à la communauté : car ce qui appartient au patrimoine de la communauté est donné à celui qui sert les intérêts communs, et l’honneur est une de ces choses qui font partie du patrimoine commun » (Éthique à Nicomaque, 1163B). Or conduire des relations entre acteurs inégaux est précisément l’affaire des rois hellénistiques avec les cités qu’ils tentent de dominer. Le propos moral d’Aristote nous fait comprendre ici les conditions d’émergence de l’évergésie comme cadre privilégié de conduite des relations de pouvoir entre cités et Empire, dans lesquelles les « intérêts » de chacun – « bien à la communauté » et « honneur » – sont pourtant mis en jeu de manière complexe. Cette complexité appelle à la réflexion.
Apparu dans l’historiographie francophone du XXe siècle, l’évergétisme – ou évergésie – est ainsi rapidement devenu un sujet de recherche majeur dans les études politiques et sociales sur le Monde grec antique tant il embrasse de multiples thématiques en même temps. La thématique de notre réflexion, le « pouvoir des rois hellénistiques », doit donc resserrer notre définition de l’évergétisme autour de ses implications politiques, notamment pour ceux qui en sont ici les initiateurs privilégiés : les rois. Ainsi resserré, l’évergétisme peut être compris comme une politique de bienfaisance (distribution d’argent ou de privilèges en tout genre) menée ici à l’initiative des rois sur leurs propres deniers et prérogatives afin d’obtenir nécessairement des contreparties politiques (honneurs, prestige, loyauté…) de la part des bénéficiaires visés. Mise en rapport avec le « pouvoir des rois hellénistiques », cette définition fait ainsi ressortir l’essence proprement relationnelle dudit « pouvoir », qui n’est pas qu’une simple sujétion verticale et passive entre dominé et dominant, mais qui correspond bien davantage à une dialectique évergétique constante entre les intérêts politiques des deux partis concernés. Cela implique que notre réflexion, si elle prend d’abord le point de vue des « rois hellénistiques », doit également prendre en compte la nature relationnelle du « pouvoir » et ainsi intégrer partiellement les interactions avec les bénéficiaires de l’évergétisme dans le cadre de notre développement. Cette précaution est d’autant plus importante que les « rois hellénistiques » sont nécessairement enchevêtrés dans ce dialogue politique : l’émulation entre les dynasties Antigonides, Séleucides, Lagides, etc. dans les guerres de conquête favorise par exemple chez ces derniers le recours aux bienfaits afin d’obtenir la loyauté de cités disputées – qui profitent ainsi de cette concurrence inter-Empires.
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