« La solution dont nous sommes convenus permet à l’Irlande du Nord de continuer de faire partie du territoire douanier du Royaume Uni tout en bénéficiant des avantages du marché unique. C’est un système viable, conçu pour durer ». C’est sans doute avec beaucoup d’espoir que Michel Barnier annonçait la signature du Protocole nord-irlandais à Belfast le 27 janvier 2020. C’était sans compter sur le revirement politique de Boris Johnson, Premier Ministre britannique, en septembre dernier.
Alors que les négociations ont repris, début septembre, afin de trouver un accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne avant le 31 décembre 2020, voilà que la question épineuse, cette fameuse frontière sur l’île irlandaise, refait surface, et non sans faire de nombreux remous. Ce qui l’a forcée à ressurgir ? Un projet de loi, présenté par le gouvernement de Boris Johnson le 9 septembre 2020, et qui, selon le chef britannique, vise entre autres à protéger la paix et au sein du Royaume-Uni ainsi qu’à garantir son indépendance. À Bruxelles, ce projet de loi est mal accueilli, car il met en danger le Protocole nord-irlandais.
Rappelons tout d’abord les faits. Le Brexit, voté par référendum le 23 juin 2016, est le processus par lequel le Royaume-Uni (Angleterre, Pays de Galle, Ecosse et Irlande du Nord), se retire de l’Union Européenne, qu’il avait intégrée en 1973. Au terme d’une saga politique pleine de rebondissements (nomination de Theresa May comme Premier Ministre, rejets de l’accord trouvé par son gouvernement, demande de report du Brexit, et démission de Theresa May en faveur de Boris Johnson, suivi d’une suspension du Parlement britannique et d’élections législatives anticipées qui prouveront Boris Johnson à nouveau vainqueur), le Royaume-Uni quitte finalement l’Union Européenne le 29 janvier 2020, laissant place à la deuxième phase des négociations, celle visant à trouver un accord commercial. Or, au coeur de ces négociations se trouve l’Irlande du Nord, et sa frontière particulière avec la République Irlandaise. Région encore instable vingt ans après la fin du conflit nord-irlandais, à cheval entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, menacée par le retour d’une frontière physique, l’île irlandaise est un enjeu crucial dans ces négociations.
Pourquoi la frontière irlandaise reste-t-elle encore une question épineuse dans les négociations du Brexit ?
Afin de répondre à cette question, nous étudierons dans une première partie à la fois la frontière en elle-même, ainsi que le conflit nord-irlandais, qui joue un rôle important dans les négociations actuelles. Une seconde partie présentera les solutions trouvées par les négociateurs du Brexit : le backstop, sous Theresa May, puis le Protocole nord-irlandais, aujourd’hui remis en cause par le projet de loi de Boris Johnson. Une troisième partie donnera quelques pistes de réflexion sur l’intérêt que représente l’Irlande du Nord et sa frontière pour le Royaume-Uni, et pourquoi une réunification des « deux Irlande » n’est pas une solution envisagée par Westminster.
I – La frontière irlandaise
A) Présentation de la frontière irlandaise
Crée en mai 1921 en tant que frontière interne au Royaume-Uni entre les « deux Irlande », la frontière irlandaise devient le 7 démembre 1922 une frontière internationale entre le Royaume- Uni et la République Irlandaise. A la fois frontière terrestre et maritime (elle s’étend dans la Mer d’Irlande), cette frontière mesure 499 kilomètres, et divise l’île d’Irlande, coupant parfois des villages.
C’est le cas du village de Pettigoe, qui a fait parler de lui dans les médias lorsque le Brexit a été voté. Ce village est situé à cheval sur la frontière : en effet, la rivière Termon, qui le traverse, marque la séparation entre l’Irlande du Nord et la République Irlandaise. La frontière y est discrète, seulement marquée par « une petite flèche sur le pont de pierre ». Bien que le marché unique européen instauré en 1986 ait permis à cette frontière de ne pas affecter durement la vie du village, elle reste toutefois un élément du quotidien. Les modalités scolaires, par exemple, ne sont pas les mêmes entre les deux Irlande, ce n’est pas la même police qui intervient dans tout le village, etc.
En Irlande du Nord, 56% de la population a voté contre le Brexit, souhaitant rester au sein de l’Union Européenne (contre 44%). Pour cause, cette frontière, traversée quotidiennement par près de 30 000 travaillés frontaliers, et qui permet un commerce libre entre les deux Irlande. En 2019, ce sont 400 passages routiers qui passent la frontière chaque jour.
B) Le conflit nord-irlandais : histoire et conséquences
Le conflit nord-irlandais, communément appelé « The Troubles » en anglais, désigne une période de tensions et d’agitations politiques. C’est un conflit principalement sectaire, opposant Catholiques/Nationalistes et Protestants/Unionistes, et qui a divisé l’Irlande du Nord de 1968 à 1998. Les causes de ce conflit sont profondément ancrées dans l’histoire irlandaise, faisant écho à d’anciens griefs, principalement religieux.
Ainsi, en 1919 l’affrontement entre Britanniques et Irlandais sur fond d’idéologies religieuses résulte en 1921 à la division de l’Irlande entre un Sud indépendant et principalement catholique, et un Nord divisé entre Catholiques et Protestants, et faisant toujours partie du Royaume-Uni. En 1921, les Protestants au pouvoir (car unionistes et donc en faveur d’une Irlande du Nord sous tutelle britannique) abusent de leur position de force. Plusieurs marches en faveur des droits civils furent donc organisés par les Catholiques, mais violemment réprimés par la police et les forces Loyalistes. On qualifie souvent cette période de conflits nord-irlandais de guérillas, du fait du rôle joué par les groupes paramilitaires qui apparaissent dès les premières tensions.
En 1960, face aux émeutes qui secouent le pays, l’armée britannique est envoyée sur place, et le 30 janvier 1972, 13 hommes et 7 adolescents sont tués, tandis que de nombreux manifestants sont blessés par balles ou écrasés sous les véhicules militaires. Ce jour est tristement célèbre pour avoir inspiré le titre Sunday Bloody Sunday de U2 en 1983. L’armée britannique est excusée — elle répondait à des tirs du PIRA (Provisional IRA), un groupe paramilitaire nationaliste, alors même que des activistes catholiques sont emprisonnés sans procès. La réponse des paramilitaires nationalistes est d’une extrême violence : le 21 juillet 1972, lors du « Bloody Friday », environ 26 bombes explosent à Belfast, tuant 9 personnes, en blessant plus de 130. De nombreuses attaques sur le sol britannique sont également menées, comme l’explosion d’une bombe dans un pub de Birmingham le 21 novembre 1975.
En 1994 est signé un premier cessez-le-feu, faisant suite à une déclaration commune entre John Mayor, le Premier Ministre britannique et Albert Reynolds, Premier Ministre irlandais. Enfin, en avril 1998 sont signés les accords du Vendredi Saint, ou Good Friday Agreement, entre le gouvernement de Tony Blair à Londres, le gouvernement de Dublin, et l’IRA. Ce traité prévoit, entre autres, la libération des prisonniers et le désarmement des groupes paramilitaires.
Au total, le conflit nord-irlandais a tué environ 3 532 personnes et fait à peu près 50 000 blessés. La plupart des victimes étaient âgées de 20-24 ans.
Toutefois, 20 ans après le traité de paix, le conflit nord-irlandais a toujours d’énormes impacts sur la société. En effet, la génération du conflit a transmis à la génération suivante (leurs enfants et petits-enfants) leurs idées et préjugés, leurs ressentis, leurs sentiments d’injustice, qu’ils soient Catholiques ou Protestants. Les jeunes d’aujourd’hui ont ainsi évolué dans une société marquée par la ségrégation, que ce soit au niveau de l’architecture de la ville, avec la présence de murs de paix au détour des rues (le nombre de ces démarcations a triplé entre 1994 et 20091), ou même dans l’éducation : la plupart des jeunes protestants vont à l’école dans des écoles contrôlées par l’Etat, tandis que la plupart des jeunes Catholiques suivent une éducation dispensée dans des instituts catholiques.
Alors que ce sont eux qui vivront avec les conséquences (positives et/ou négatives) du Brexit, ces jeunes nord-irlandais subissent des séquelles psychologiques liées au passé de leur pays, ce même passé qui aujourd’hui freine les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Ils voient également le Brexit mettre en danger leurs opportunités futures de travail, alors que la situation économique dans beaucoup de régions d’Irlande du Nord a été mise à mal par le conflit.
Cependant, la crainte majeure d’un retour à une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande est le risque d’une nouvelle explosion de violence. En effet, les groupes paramilitaires sont toujours plus ou moins actifs à l’heure actuelle, jouant principalement un rôle de police dans les différentes communautés. Un groupe paramilitaire est un groupe considéré comme illégal, et constitué comme une armée. Alors que dans certains pays, ces groupes peuvent être considérés comme faisant partie de l’armée officielle (comme les CRS français par exemple), dans d’autres ils sont qualifiés de groupes terroristes. En Irlande du Nord, la perception de ces groupes paramilitaires varie selon de nombreux facteurs : la communauté à laquelle on appartient, le pays dont l’on vient (Angleterre, Irlande du Nord…), notre appartenance ou pas à l’un de ces groupes, etc.
Un rapport établi par la Police d’Irlande du Nord fait état entre le 1er septembre 2019 et le 31 août 2020 de 16 victimes de fusillades paramilitaires. Ces fusillades ont plus que doublé à Belfast, capitale de l’Irlande du Nord, passant de 4 l’année précédente à 9 sur la période observée ; quant aux fusillades sur l’ensemble du territoire, elles sont passées de 38 à 46. Sur cette même période, la police a relevé 19 incidents liés à l’explosion de bombes, contre 13 l’année précédente.
Les principales victimes des actions paramilitaires en Irlande du Nord sont les jeunes. En effet, ils sont les principales cibles des opérations de punition menées par les paramilitaires : ces agressions ou attaques sont souvent menées par les groupes Loyalistes et Républicains sur des membres de leur propres communautés. Armés de barres de fer ou de battes de baseballs, les paramilitaires punissent les jeunes de leur communauté pour des attitudes qu’ils considèrent comme déviantes. Un contact établit avec un membre de l’autre communauté peut également amener à de pareilles violences.
II – Le Protocole nord-irlandais
A) Des négociations tumultueuses
Au lendemain du référendum sur le Brexit, David Cameron démissionne, succédé par Theresa May, Première Ministre du Royaume Uni de juillet 2016 à juillet 2019. En faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne, Theresa May se voit pourtant confier la charge d’en négocier la sortie, à la tête d’un gouvernement dominé par les brexiters.
Après de longs mois de négociations avec l’Europe, elle propose toutefois un premier accord de divorce le 14 novembre 2018. Malheureusement, le backstop, cette solution trouvée au problème épineux de la frontière irlandaise, ne séduit pas les députés britanniques. En effet, alors que le backstop prévoit une fluidité des échanges garantie de part et d’autre de la frontière, permettant de protéger la paix fragile en Irlande du Nord, nombre de députés craignent d’être liés à l’Union Européenne pour une durée indéterminée. C’est pourquoi, le 15 juin 2019, l’accord est rejeté par la Chambre des Communs. Il en va de même le 12 mars, et le 29 mars 2019. Theresa May, dans l’impasse, parvient à négocier un report du Brexit jusqu’au 31 octobre, et fait un discours en mai, au cours duquel elle ouvre la voie à un possible second référendum sur le Brexit. Ce discours la pousse à démissionner, et elle quitte le Numéro 10 le 24 juillet 2019, après 3 ans de longues négociations.
Lui succède Boris Johnson, élu à 66%. Il s’engage dès le 24 juillet à ce que le Brexit soit mené à terme d’ici le 31 octobre 2019 … accord ou pas. C’est le fameux « no deal », utilisé par Boris Johnson tout au long des négociations. L’année 2019 est marquée par la suspension du Parlement, un nouveau report du Brexit, et, le 1er octobre, par un novel accord.
Cet accord propose notamment une alternative au backstop de Theresa May, le fameux protocole nord-irlandais. Au 17 octobre, le Parlement britannique, bien qu’il semble soutenir cet accord, décident d’ajourner leur vote au 19 octobre. Le 9 janvier 2020, le projet de loi sur le Brexit est voté définitivement, avec 330 voix pour et 231 contre. Il obtient le 23 janvier le consentement royal, et est accepté le 29 janvier par le Parlement européen. Le 1er février, le Royaume-Uni quitte l’Union Européenne, sur les bases de cet accord, qui contient le Protocole nord-irlandais.
B) Expliquer le Protocole nord-irlandais
Voté en octobre dernier, le protocole nord-irlandais est une réponse à cette question épineuse qu’est la frontière irlandaise. Il remplace le « backstop », ébauché par le gouvernement de Theresa May et fait désormais partie du Withdrawal Agreement, signé par Boris Johnson et les représentants de l’Union Européenne.
Suivant ce protocole, les autorités du Royaume-Uni et de l’Union Européenne s’engagent à ne pas imposer de contrôles douaniers sur les biens passant par la frontière Nord-irlandaise — permettant ainsi d’éviter le retour à des signes visibles d’une frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
Toutefois, en vertu de cet arrangement, l’Irlande du Nord continue d’appliquer les règles douanières propres à l’Union Européenne, tout en suivant ses propres règles quant aux normes de produits. L’Irlande du Nord continue donc d’appliquer les règles européennes, tandis que le reste du Royaume-Uni cesse de le faire : cela entraîne l’instauration nécessaire de contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, créant une frontière en Mer d’Irlande. Une idée qui est loin de séduire certaines figures politiques unionistes, qui craignent que cela ne nuise à l’union du Royaume-Uni.
Le 9 septembre, après de nombreuses rumeurs dans les médias britanniques, un nouveau projet de loi est présenté aux députés britanniques, qui porte sur le marché intérieur britannique. Introduit dans le paysage politique alors même que le Royaume-Uni et l’Union Européenne entrent dans une phase cruciale des négociations du Brexit, ce projet de loi a fait bien des remous, à Londres comme à Bruxelles, en passant par Belfast, et a considérablement tendu les relations diplomatiques entre les deux protagonistes du Brexit. Il est toutefois approuvé par les députés britanniques le 29 septembre.
Si ce projet de loi fait autant polémique, c’est parce qu’il enfreint le droit international. En effet, cette loi nationale contient des dispositions expressément énoncées permettant aux ministres britanniques d’annuler certaines disposions prévues par le Protocole Nord-Irlandais en particulier. Il permettrait entre autres au gouvernement britannique de supprimer toute obligation de déclaration de sortie des marchandises quittant l’Irlande du Nord pour la Grande- Bretagne. Ces déclarations de sortie sont inhérentes aux contrôles douaniers prévus par le Protocole Nord-Irlandais en Mer d’Irlande. Ce projet de loi permettrait également au gouvernement britannique de présenter sa propre interprétation des règles relatives aux aides d’Etat appliquées en Irlande du Nord, signifiant par là que le gouvernement ne serait pas nécessairement lié par les règles européennes Ces aides d’Etat sont des aides accordées aux entreprises par l’Etat, au moyen de ressources publiques. Elles permettent un avantage sélectif et affectent les échanges entre Etats membres et la concurrence. Ces dispositions prévues par le projet de loi sur le marché intérieur ne font qu’attiser les craintes de l’Union Européenne quant au respect de la concurrence par le Royaume-Uni : ce dernier s’est en effet engagé en février dernier à ne faire aucune « concurrence déloyale » à l’UE. Cependant, ce projet de loi, en route pour la chambre des Lords, peut faire douter les dirigeants européennes quant aux promesses de Boris Johnson.
III – L’Irlande du Nord : que représente-t-elle pour le Royaume-Uni ?
A) Les justifications de Boris Johnson
Critiqué jusque dans son propre camp, accusé par le leader des indépendantistes écossais Ian Blackford de vouloir créer un « état voyou », Boris Johnson défend toutefois son texte. Selon lui, ce texte a pour but de « protéger notre pays contre l’interprétation extrême ou irrationnelle du protocole, laquelle pourrait conduire à une frontière dans la mer d’Irlande — d’une manière qui, à mon avis, serait préjudiciable à l’intérêt de l’accord du Vendredi saint et préjudiciable aux intérêts de la paix dans notre pays ». Il accuse l’Union Européenne de vouloir « bloquer une partie du Royaume-Uni, à le couper ».
Le 2 octobre, la Commission Européenne a donc haussé le ton, et engagé une procédure d’infraction contre le Royaume Uni, lui demandant donc de respecter le droit de l’Union européenne. Elle avait auparavant lancé un ultimatum au gouvernement de Boris Johnson, lui intimant de retirer son projet de loi. Alors que le Royaume-Uni doit sortir définitivement de l’Union Européenne, deal ou pas, dans moins de 100 jours, les négociations voient donc ici une raison de se corser encore davantage.
B) Un atout économique au coeur de l’unité britannique ?
L’économie irlandaise est la plus petite économie du Royaume-Uni. Toutefois, bien que sa population ne représente que 3% du royaume, elle dépasse notamment le Pays de Galles en termes de PIB par habitants. Autrefois à majorité industrielle (construction navale, textile…), elle est davantage tournée aujourd’hui vers une économie de services, grâce notamment au tourisme. L’ingénierie joue un rôle important dans l’économie de l’Irlande du Nord,, avec la présence de Bombardier Aerospace dans la région de Belfast, qui employait en 2007 quelques 5 4000 personnes.
Toutefois, dire que l’Irlande du Nord représente un atout économique pour le Royaume-Uni n’est pas totalement vrai. En effet, depuis le conflit de 1968, le taux de chômage est élevé, notamment chez les jeunes, l’économie affaiblie, et la paix instable n’arrange en rien la situation. Les régions les plus affaiblies économiquement sont celles qui ont été le plus touchées par les affrontements de 1968. De plus, selon des estimations du Parlement européen, le Brexit entraînerait ainsi une diminution de 3% du PIB nord-irlandais.
La frontière irlandaise, quant à elle, représente un atout économique pour le Royaume-Uni. De grandes sommes circulent entre le Royaume-Uni et l’Irlande : en 2018, l’Irlande a exporté 16,1 milliards d’euros de marchandises vers le Royaume-Uni, tandis que le Royaume-Uni exportait 19,9 milliards d’euros vers l’Irlande. Les liens commerciaux entre les deux pays sont importants : en 2018 toujours, 90 000 entreprises irlandaises avaient des relations commerciales, tant en exportations qu’en importations avec le Royaume-Uni. La frontière irlandaise est une plaque tournante du commerce entre le Royaume-Uni et l’Irlande, car elle facilite les échanges de personnes et de biens commerciaux grâce à l’absence de contrôles douaniers. Aujourd’hui, 57% des exportations Nord irlandaises sont à destination de l’Union européenne, dont 21% vers la République d’Irlande. 34% des exportations irlandaises se font avec l’Union Européenne dont 17% avec l’Irlande du Nord. La frontière entre les deux Irlande représente donc bien un enjeu commercial et économique majeur, pour le Royaume-Uni comme pour l’Union Européenne à travers les deux Irlande.
Plus qu’un atout économique, l’Irlande du Nord joue un rôle important dans l’unité du Royaume- Uni. Or, sans unité entre les quatre pays qui constituent le Royaume-Uni, Westminster tremble.
Face au Brexit, le Royaume était d’ors et déjà désuni : alors que l’Angleterre (53,4%) et le Pays de Galle (52,5%) ont voté en faveur du Brexit, l’Ecosse (62%) et l’Irlande du Nord (55,8%) s’y sont opposés. Le Brexit a renforcé les velléités des unionistes Ecossais, comme l’a démontré le souhait d’un nouveau référendum exprimé par Nicola Sturgeon (Première Ministre écossaise) pour l’indépendance du pays. Le refus de Boris Johnson d’accorder ce second référendum montre à quel point le gouvernement britannique redoute des dissensions entre les pays du Royaume. Il en va de même pour l’Irlande du Nord. Suite au vote pour le Brexit, les rumeurs sur une possible réunification entre les deux Irlande sont allées bon train.
Plus récemment, la crise sanitaire liée au Covid-19 fait craindre de nouvelles dissensions au sein de l’union : la gestion de la crise par le gouvernement de Boris Johnson, fortement critiquée par l’Ecosse, l’Irlande du Nord et le Pays de Galle, a entraîné, en octobre, la décision par le Premier Ministre gallois, Mark Drakeford, de fermer ses frontières aux Britanniques venant des zones les plus touchées par le virus.
Lorsqu’il craint que l’Union Européenne ne souhaite « couper » le Royaume-Uni, Boris Johnson craint sans aucun doute davantage qu’une accumulation de crises et de contestations envers son propre gouvernement ne conduise à une dissolution progressive de ce qui fait la force même de Westminster : quatre économies unies.
Que conclure ?
Il est fort à parier que la question de la frontière irlandaise perdurera bien au-delà des négociations du Brexit. En effet, c’est une question qui allie à la fois intérêts économiques et commerciaux tout en faisant appel à des enjeux sociaux importants. Face à une paix et à l’unité du Royaume-Uni fragiles, trouver une solution qui satisfera les deux parties nécessitera davantage de souplesse dans les relations diplomatiques qu’entretiennent l’Union Européenne et le gouvernement de Boris Johnson.
Une solution avait pourtant été trouvée en 2020, en nom et lieu du protocole nord-irlandais, aujourd’hui remis en question par le projet de loi du Premier Ministre. Si les raisons invoquées par Boris Johnson s’avèrent véridiques et/ou justifiables, elles démontrent surtout une crainte de voir l’unité britannique en péril, et avec elle les avantages économiques qu’elle procure à Westminster.
Aujourd’hui, le ton ne cesse de monter, à dix semaines seulement de la date butoir. Boris Johnson a demandé le 16 octobre au peuple britannique de se préparer à un « no deal », Emmanuel Macron durcit le ton, tout comme l’ensemble des pays de l’Union Européenne. La saga du Brexit est loin d’être terminée, et il est à craindre que l’Irlande du Nord et sa population ne pâtissent des décisions prises in fine.
Sources et liens utiles
Les effets des conflits
- O’Halloran, Chris. Belfast Interfaces. Security Barriers and Defensive Use of Space. Belfast Interface Project. November 2011. https://www.belfastinterfaceproject.org/sites/default/files/publications/Belfast%20interfaces.pdf.
La frontière irlandaise en chiffres
Le protocole nord-irlandais
- https://ec.europa.eu/info/european-union-and-united-kingdom-forging-new-partnership/eu-uk- withdrawal-agreement/protocol-ireland-and-northern-ireland_fr
- https://www.bbc.com/news/explainers-53724381
The UK Internal Market Bill
Quels atouts représente l’Irlande du Nord pour le Royaume-Uni?
- https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/14/le-covid-19-met-a-l-epreuve-l-unite- du-royaume-uni_6056032_3210.html
- https://www.areion24.news/2020/04/08/brexit-une-frontiere-avec-lirlande-et-lecosse/
- British Irish Chamber of commerce, pre-budget submission 2020