En 2020 et dans le monde, 5 760 000 articles sont publiés chaque année selon les estimations de l’entreprise d’analyse du web et des réseaux sociaux Talkwalker. Cette situation contribue à l’émergence d’un nouvel écosystème du marché de l’information altérant le concept même d’information et favorisant le développement d’une nouvelle structure de concurrence entre les principaux acteurs de l’information en ligne.
« L’information est la vraie victoire du XXe siècle avec un développement sans précédent de l’informatique et des réseaux »
Dominique WOLTON
C’est par ces mots que le sociologue Dominique Wolton évoque la nouvelle dynamique du concept « d’information » à l’orée du développement des nouvelles technologies issues du numérique.
À cet égard, deux articles scientifiques traient de l’information en ligne et des conséquences que porte la mutation du marché de l’information à l’heure d’Internet ; le premier est un article co-écrit par les chercheurs Nikos Smyrnaios et Franck Rebillard et intitulé « L’actualité selon Google : l’emprise du principal moteur de recherche sur l’information en ligne ». Le second est un extrait du chapitre 5 « information en ligne » de l’ouvrage Médias, culture et numérique publié en 2016 par Fabrice Rochelandet, Franck Rebillard et Gérôme Guibert. Ces deux documents sont utiles pour comprendre ce qu’implique la mutation du marché de l’information à l’aune de l’émergence des infomédiaires – organisant la rencontre entre une offre abondante d’informations et une demande précise des internautes – ainsi que du Web 2.0, cet environnement propice au contexte « d’infobésité » – concept démocratisé en France par Caroline Sauvajol-Rialland à l’heure d’une multiplication des chaines de télévision d’information en continu et d’Internet. En ligne, l’information est plurielle, multiple et suppose de nouveaux acteurs qu’ils soient « amateurs » (P. Flichy, 2010) ou exclusivement en ligne (pureplayer) voire nés avec le numérique – le cas des GAFAM et particulièrement du rôle de Google. L’article Smyrnaios et Rebillard analyse, justement, le rôle qu’occupe Google dans cette nouvelle dynamique du marché publicitaire et de l’information – entre conflit et coopération. L’extrait du chapitre présente davantage la multiplicité des acteurs de l’information en ligne et des nouveaux modèles de médias. Avec Internet, internationaliser l’information n’a jamais été à aussi moindre coût. Cette donnée suppose de nouveaux modèles de concurrence et une nouvelle logique du concept de l’information qu’il convient d’analyser.
Dès lors, l’information – sous-entendue ici d’actualité – en ligne peut se définir comme l’ensemble des nouvelles communiquées par les médias au prisme des nouvelles technologies de l’information et de la communication ; Internet en autres choses. Cette nouvelle dynamique entraine de nouvelles conflictualités entre les acteurs qui composent le marché de l’information en ligne avec l’émergence donc d’un modèle inégalitaire de par l’écosystème en ligne impliquant une dégradation progressive du concept même d’information.
Pour analyser cette « industrie de l’accès » (Nikos Smyrnaios et Franck Rebillard, 2009), de nombreux sociologues et économistes se sont interrogés sur la place féconde qu’occupe l’Internet dans la recomposition du marché de l’information et le renouveau des relations entre consommateurs, producteurs et diffuseurs. Dominique Wolton écrit l’important ouvrage Internet et après (Wolton, 1999 réed. 2010) dans lequel il analyse les nouvelles formes de communication au prisme des technologies du numérique. Wolton parvient à replacer les sciences de l’information et de la communication au cœur des nouvelles technologies, un tableau fondateur des nouveaux médias. Plus particulièrement, Patrice Flichy à travers son ouvrage Le sacre de l’amateur (Flichy, 2010), s’intéresse à la place qu’occupent les « amateurs » dans l’échange d’information. Avec Internet, l’âge des blogs est aussi florissant que dangereux en ce qu’il participe à l’avènement de l’ère de post-vérité marquant une croissance exponentielle de fake news – fausses informations. Aussi, Gérald Bronner, dans sa démocratie des crédules (Bronner, 2013) analyse les maux de l’information en ligne qui se voit confrontée au culte de l’immédiat, une thèse défendue par Pascal Josèphe qu’il conjugue au rapport que le citoyen porte à l’égard du pouvoir politique et de la représentation nationale. Enfin, Henry Jenkins est le pionnier dans l’analyse de la culture de la convergence (Jenkins, 2006) que suppose le numérique au sein du marché de l’information et de la structure des médias, d’une manière générale.
Pour toutes ces raisons, il est pertinent de se demander si la numérisation progressive du marché de l’information, à l’aune du développement d’Internet, ne favorise-t-il pas un renouveau conflictuel du marché de l’information entre les acteurs et le développement d’un modèle inégalitaire. Autrement, dit, en quoi l’information en ligne est-elle confrontée à un nouvel écosystème altérant le marché classique de l’information ?
C’est pourquoi, il convient, d’une part, de comprendre les fondements du nouvel écosystème du marché de l’information en ligne marquant la naissance de nouveaux acteurs et d’un modèle singulier (I) avant, d’autre part, de s’intéresser au phénomène d’infomédiation mettant en concurrence nouveaux acteurs et acteurs traditionnels (II). Enfin, comprenons qu’une crise de l’information émerge par des conflits dont la résolution semble se retrouver davantage dans une adaptation des acteurs traditionnels au numérique qu’une voie de résolution normée (III).
I – L’information à l’heure du numérique : la naissance d’un nouvel écosystème
Tout d’abord, il convient d’analyser l’avènement d’un nouvel écosystème propre au concept d’information qui émerge à l’aune du développement d’Internet et des nouveaux outils numériques. Cet écosystème se caractérise, de prime abord, par la naissance de nouveaux acteurs de l’information en ligne (a) favorisant le développement d’un modèle singulier de convergence numérique (b). Ce nouveau procédé se conjugue à une production d’informations internationales alternatives (c).
A) De nouveaux acteurs – le « sacre de l’amateur » ? (P. Flichy)
Avec Internet, le marché de l’information est en mutation d’abord par l’apparition, par vague, de nouveaux acteurs cohabitant avec les médias traditionnels. Le constat du chapitre 5 consacré à l’information en ligne de l’ouvrage Média, culture et numérique, est simple : l’information en ligne supplante la presse écrite ; première victime et en net recul. L’essor du nouveaux journalisme se réalise par vague successive des années 1990 avec le développement de site web pour les grands journaux (19 septembre 1995 : Le Monde) puis par l’essor d’acteurs nouveaux se développant « purement » par l’intermédiaire d’internet : les pure players ; ces médias exclusivement en ligne tel que Les Jours qui ne possède pas de tirages papier. Ainsi, les sites web et les médias intégralement en ligne et issus du Web 2.0 participatif correspondent à la première vague des nouveaux acteurs composant l’information en ligne. Mais plus encore, si les médias n’ont eu de cesse d’incarner une forme de contre-pouvoir voire une certaine influence (Affaire Dreyfus), l’avènement de l’ère des blogs est, sans équivoque, ce qui affirme la place occupée par les médias d’information dans nos sociétés. En ligne, le journalisme participatif prend un sens plus large et concerne aussi bien des professionnels que des amateurs capables, ‘en journaliste’, de diffuser du contenu aussi factuellement faux puisse-t-il être. Le « sacre de l’amateur » (Flichy, 2010) est sans conteste ce qui marque l’information en ligne avec un développement sans précédent du flux d’information. Si les acteurs se démultiplient, la tendance dans les années 2012 et en raison d’impératif économique, est à la stabilisation de la part d’articles d’information en ligne rédigés par des professionnels. En dépit des millions de blogs d’information, les annonceurs, si important pour le financement d’un média en ligne, ne peuvent faire confiance à un blog amateur : l’image de marque en ligne est une donnée essentielle pour capter l’attention des lecteurs dans ce labyrinthe de référencement et cette multitude d’acteurs. Ainsi compris, professionnels comme amateurs cohabitent et recomposent le paysage de l’information en ligne. Il semble toutefois que le modèle économique se soit mis à jour en dépit d’une restructuration certaine provoquée par le numérique.

B) Un nouveau modèle d’information – la « convergence numérique » (H. Jenkins)
Caractériser le modèle du marché en ligne n’est pas chose aisée tant il demeure pléthore de logiques. Procédons par étape en définissant d’une part la manière dont le marché « biface » s’est mis à jour, avant d’entendre la nécessité que les médias ont à se connecter en ligne. Enfin, comprenons que la longue traine porte des conséquences sur le modèle structurel des entreprises de l’information en ligne. Le marché « biface » demeure une réalité du marché de l’information en ligne. Dans son article paru en 1973 dans le Scandinavian Economic History Review, le journaliste Lars Furhoff développe la spirale de la diffusion pour renseigner sur l’interdépendance des deux acteurs constituant ce qui est retenu comme le marché « biface » des médias – les annonceurs et l’audience. Cette notion, développée en France par Jean Tirole notamment, démontre que deux industries s’entremêlent. Les médias sont au centre de cette interdépendance et fournissent de l’attention au consommateur pour capter leur consommation tout en façonnant des contenus pour les annonceurs. Plus l’audience est élevée et plus un média parvient à attirer les annonceurs et inversement. Lars Furhoff démontre, en outre, que les lecteurs ne sont pas hostiles à la publicité et, au prisme de cet article, a cherché à caractériser la relation qu’entretiennent la presse avec les annonceurs et l’audience. Plus la publicité augmente et plus un média est attractif, selon sa théorie. Cette notion évoque le fait que les anciens médias sont supplantés par les nouveaux en ce qu’ils attirent plus de publicitaires du fait d’une meilleure audience notamment à l’heure du numérique. En ligne, la logique demeure conservée et l’image de marque est importante. C’est pour cette raison que les médias traditionnels tendent à user du numérique comme un moyen de référencement. Dès lors, et c’est ce qu’Henry Jenkins considère (Culture de la convergence, 2006), la convergence numérique s’opère comme l’objectif pour les industries, de regrouper un maximum de fonctionnalités en utilisant un minimum de canaux et de transcripteurs. Autrement dit, la convergence désigne la tendance que les industries, notamment d’information, ont à regrouper et développer leurs activités par la numérisation de ces dernières. De nos jours, la majorité – si ce n’est l’intégralité – de nos titres de presse ont un site web et une application mobile. La mise en ligne de l’information répond, enfin, à un modèle de « longue traîne ». Avec Internet et l’abolition des coûts variables, maintenir une information en ligne est rentable : lorsque les ventes diminuent – disons les consultations, vues et abonnements selon que le modèle soit premium ou freemium – les médias génèrent du profit ce qui inscrit le marché de l’information en ligne dans l’abondance – l’infobésité. Ainsi donc, le nouveaux modèle de l’information en ligne est celui de l’abondance, de la connexion en ligne et d’une convergence numérique en dépit de la persistance de l’importance de l’image de marque pour attirer les annonceurs et les lecteurs.
C) Une production d’informations alternatives ?
En parallèle, il convient de s’interroger sur la mondialisation de l’information que suppose l’ère d’Internet. L’abolition des frontières rend possible une médiation plus aisée de l’information. Les nouveaux acteurs traditionnels se saisissant de la convergence numérique cohabitent avec les « amateurs » diffusant, eux aussi, un type précis d’information. Si les médias traditionnels demeurent dans une logique de « circulation circulaire de l’information » (Bourdieu, 1996) – soit une homogénéisation du contenu conformément aux dépêches de l’AFP – il semble que la blogosphère n’incarne une médiation d’informations alternatives souhaitant rompre avec les médias dominants en les court-circuitant. L’exemple d’Indymedia, fondé en 1999 alors qu’émergent des mobilisations altermondialistes à l’occasion du sommet de l’OMC à Seattle le 30 novembre 1999. Le slogan prôné « Don’t hate the media, be the media » témoigne à lui seul de cette logique d’incarner une voie alternative d’information contre les médias dits « mainstream ». Ce modèle est participatif et s’exporte à travers le monde entier ; le réseau Indépendant Media Center (IMC) dont certains médias importants comme CNN empruntent les images des manifestations de Seattle lors de la couverture des manifestations, se démultiplient jusqu’à atteindre 180 IMC dans le monde en 2008. Dès lors, un réseau transnational d’information émerge et tend à rivaliser avec les médias traditionnels. Pour autant, s’il convient de retenir Indymedia comme le pionnier d’une production alternative de l’information, son modèle basé exclusivement sur le volontariat ainsi qu’une forte disparité entre le Nord et le Sud du globe entraîne sa chute lorsque la blogosphère du Web 2.0 émerge (vers 2005) et explose dans les années 2010. Ici ce qui est intéressant est la nouvelle dynamique de la circulation internationale de l’information. Ethan Zuckerman, un chercheur de l’université d’Harvard, a publié une analyse des contributions de la blogosphère. La conclusion donnée place les blogs comme une poursuite de la circulation de l’information des médias mainstream. Si ces derniers, aux États-Unis, ne s’intéressent que très peu aux pays non-occidentaux, les blogs ne relaient les informations de ces mêmes pays que si elles ont – au préalable – été diffusées par les médias mainstream (Zuckerman, 2005). Autrement dit, les blogs ne sont finalement qu’une continuité ‘amatrice’ des informations relayées par les médias professionnels. Pour autant, dans les PED – pays en développement – et certains PMA (pays les moins avancés), les bloggeurs jouent un rôle essentiel dans la circulation de l’information. Internet favorise une production utile pour les médias professionnels de ces État : ce sont les « bridgebloggers » (à l’instar de Salam Pax en Irak).
Donc en cela, Internet favorise l’émergence d’un nouvel écosystème marqué par de nouveaux acteurs ainsi qu’un modèle numérique du marché de l’information. L’infobésité se conjugue à l’abondance des acteurs pouvant diffuser une information alternative et jouant un rôle non négligeable dans la circulation mondiale de l’information. Mais la caractéristique principale de l’information en ligne demeure l’infomédiation.
II – Vers l’infomédiation du marché de l’information
L’infomédiation est aucun doute ce qui définit le marché de l’information en ligne et plus particulièrement les relations entre les entreprises du numérique et les médias. D’abord, l’infomédiaire classique se place comme le diffuseur de l’information (a) avec un algorithme favorisant une bataille du référencement entre médias en ligne, une caractéristique importante de cette coopétition entre les acteurs de l’information en ligne (b). Enfin si les relations sont conflictuelles, l’infobésité semble dénaturer le concept même d’information à l’heure d’un culte de l’immédiat (c).
A) L’infomédiaire classique, un modèle du « courtage informationnel » (P. Moeglin)
L’universitaire Pierre Moeglin analyse les nouveaux systèmes d’information par la formalisation du modèle du « courtage informationnel » (Moeglin, 2012) c’est-à-dire un système d’intermédiation de l’information reposant à la fois sur un modèle de rémunération au contact, à la fois un modèle non contractuel entre les acteurs et enfin, à la fois sur un dispositif de distribution – que l’on doit qualifier ici de référencement – distinct de l’activité éditoriale dont il ne doit pas exercer d’influence directe. Ainsi, le courtage informationnel est le modèle des moteurs de recherche et est une réalité de l’infomédiation en ligne. Dès lors, l’information en ligne est régie par des infomédiaires qui mettent en relation l’offre infinie d’information à une demande précise des internautes – qu’il convient de distinguer des kiosques en ligne : à l’heure du web, un nouvel oligopole émerge. Ces acteurs majeurs organisent la structure de l’information internationale et deviennent les nouveaux gate keepers de l’information internationale en incarnant l’agrégateur du filtrage de l’information. Si les infomédiaires ne créent pas de contenu, ils le redistribuent et sont des points incontournables pour les médias traditionnels. Exister sur le web signifie être vu et perçu par les internautes d’où l’intérêt de capter l’attention d’une demande noyée dans un surplus d’offre d’information. Yahoo ! News est l’un des premiers infomédiaires lancé en janvier 1994. L’objectif de Yahoo est de générer plus de fréquentations, autrement dit plus de recettes publicitaires, et donc d’avoir des visiteurs. Yahoo ! News est un site qui donne accès à des sources de partenaires avec lesquels Yahoo a passé un contrat, par exemple avec Reuters, Associated Press ou ABCNews. La sélection des nouvelles est opérée manuellement par une équipe de journalistes et ce n’est qu’en 2005 que ce site devient un créateur de contenu. Le fonctionnement est différent avec Google News aujourd’hui incontestablement l’infomédiaire par excellence. Lancé en mars 2002, Google News fonctionne par l’intermédiaire d’un algorithme secret qui sélectionne automatiquement les nouvelles publiées sur le site selon des critères quantifiables, nous renseigne l’article 2 (nombre de liens hypertextes renvoyant au site/article en question, une forte audience, les réactions ainsi qu’une intelligence artificielle capable de repérer des fautes d’orthographe). Ainsi donc, l’infomédiation se structure par le modèle du courtage informationnel plaçant les infomédiaires comme les agrégateurs du filtrage de l’information en ligne. Cette situation conduit à une relation paradoxale animant les acteurs de l’information en ligne.
B) Une coopétition relative
La coopétition est sans doute ce qui caractérise la relation entre les acteurs de l’information en ligne et notamment entre les agrégateurs et les créateurs de contenu. Google News coopère avec les éditeurs de presse jusqu’à se placer entre la production du contenu et l’édition tel un distributeur. Il sert de visibilité aux sites d’actualité et se rend nécessaire par le filtrage qu’il opère : si le site web est affiché aux premières pages, alors le trafic augmente drastiquement. Mais inversement, cette coopération se mue en une compétition lorsque les médias estiment que l’entreprise de la Silicon Valley utilise les articles affichés pour exister sans aucune rémunération. Le conflit est surtout cristallisé par la problématique du référencement, Google News au même titre que Facebook à bien des égards, fondent une véritable bataille du référencement dans laquelle les médias en ligne cherche à se rendre le plus visible et coller à l’algorithme. La coopétition est donc double : entre Google et les médias mais aussi entre médias qui coopèrent par un partage d’information et un échange qu’il convient de ne pas négliger mais qui se dispute sans conteste une place dans le podium du référencement en ligne. Le danger étant le désir de créer un buzz pour fonder une communauté et gonfler les réactions sur les réseaux sociaux (Facebook) captant l’attention de l’agrégateur Google News qui composent la grande majorité du trafic web des sites d’actualité. C’est le sens du sensationnalisme auquel certains médias semblent tomber : le cas des articles des médias sportifs lors des périodes de transfert (mercarto) jouant sur les rumeurs les plus folles pour gonfler l’audience et annonçant le départ Kylian Mbappé au Real Madrid. L’infomédiation en ligne et la situation de coopétition participent à une commercialisation de l’information en ligne en vue de capter l’attention des lecteurs, quitte à altérer le concept même d’information.
C) L’infobésité, une réalité qui dénature le concept d’information
À bien des égards, les infomédiaires standardisent l’information conçue désormais comme un savoir en boîte formaté pour une lecture rapide. Google News fait partie des acteurs favorisant ce que Gérald Bronner, à travers son ouvrage la démocratie des crédules appelle des « biais de confirmations » (Bronner, 2013). Autrement dit, le fait d’assurer une personnalisation de l’offre en fonction de la demande individuelle conduit à modifier le principe de « s’informer ». Désormais, la demande ne fera que lire, en majorité, un titre de presse dont elle est déjà en accord grâce aux algorithmes, conditionnant la pensée. La recherche d’une information contradictoire est moins facile avec ce principe de « bulles filtrantes » propres aux infomédiaires – comprendre mettre en avant une information jugée utile par l’agrégateur. C’est d’autant plus vrai pour les articles d’opinion. Dans un kiosque traditionnel, certes la demande consomme ce qu’elle choisit mais aucune bulle filtrante ne peut cacher un titre de presse. Inconsciemment l’information contradictoire est disponible dans un kiosque classique, tandis qu’en ligne le profil établi par l’algorithme peut cacher une information. Les biais de confirmation sont donc également une caractéristique des infomédiaires comme Facebook ou Google news. Rappelons aussi que la vente de journaux papier a drastiquement chuté, mesuré en moyenne à -3%/an. Cette situation se vérifie d’autant plus avec la naissance de kiosque en ligne, véritable infomédiaire privé fonctionnant sur le modèle premium. Pour accéder aux articles, l’abonnement est requis moyennant l’assurance et disons la promesse, d’une personnalisation de l’offre d’information. Cafeyn et Pressmium en France en sont des exemples.
Donc en cela, le marché de l’information en ligne est caractérisé par une infomédiation marquant la naissance de nouveaux agrégateurs qui se placent entre l’édition et la production de contenu. Ces distributeurs permettent aux médias en ligne d’exister et d’être lu mais semble influencer une production singulière de l’information pensée désormais pour être lue plus que pour sa qualité. Parce que cette relation est conflictuelle, le marché de l’information rencontre une crise ; la relation entre Google et les éditeurs l’atteste.

III – La crise du marché de l’information
Partie III rédigée par Felicia ESNOL- -MARCELIN
L’apparition de nouveaux acteurs, ainsi que ce nouveau phénomène de concurrence ont pour conséquence de perturber l’économie des médias en ligne. On parle alors d’une crise du marché de l’information.
A) Les conflits croissants entre acteurs
Pour commencer, nous verrons que de cette situation naissent des conflits. Il faut comprendre qu’au niveau financier de nouvelles questions sur la répartition des revenus sont soulevées.
En effet, pour diffuser une information numériquement un média (pureplayer ou traditionnel) doit payer le journaliste qui produit le contenu, avoir recours à un hébergeur pour son site web, et doit également traiter avec les moteurs de recherche ou agrégateurs de contenus pour être visibles par les internautes. Les couts fixes ne sont pas abolis.
Lorsque Google News est lancé en 2003 en France, l’entreprise Google détourne ce modèle, ayant pour conséquences d’affaiblir les revenus des médias. Google News ne finance pas de journalistes, d’hébergeur ou de moteur de recherche. Il récupère un contenu, à l’identique parfois en temps qu’infomédiaire, mais les revenus de la publicité sur la page internet lui reviennent entièrement. C’est une fois que l’internaute utilise le renvoie à la source que le média est financé par sa publicité.
De plus, il n’y a pas de liens hypertextes qui renvoient immédiatement à l’article sur le titre, ou la première image, il faut pour y accéder passer par la page d’accueil liée au logo de “Libération”, et retrouver l’article. Sur l’article original le texte est parfaitement le même. Le problème se pose donc autour de la “propriété intellectuelle”.
À l’origine c’est ainsi que se présentait Google News. Un premier procès est ouvert en 2004, entre éditeurs et responsables de Google aux États-Unis. Les requérants “ont fait valoir le droit d’autoriser ou pas la reprise de leur contenu par Google News ainsi que de contrôler les modalités de cette reprise si elle a lieu. Ils ont finalement eu gain de cause principalement sur le premier point.”. La deuxième partie de la demande est assez contraire à la liberté d’expression car cela empêcherait Google d’utiliser un contenu préexistant, ainsi que de se l’approprier.
Le premier procès qui montre la difficulté des médias à s’opposer au groupe Google est le procès d’éditeurs belges associés dans le groupe Copie presse contre Google. Lorsque le Tribunal de Première Instance de Bruxelles tranche en faveur des éditeurs pour violation des droits d’auteur en 2006 et en 2007 Google met fin à la récupération du contenu du groupe, mais décide également de supprimer les accès aux articles par tout autres biais via leur moteur de recherche.
Selon Google les pertes potentielles des médias du fait de cette récupération seraient compensées par leur référencement. Ni Google ni les éditeurs ne se paieraient l’un l’autre, car les revenus du premier feraient office de paiement des éditeurs pour voir leur contenu en ligne. La structuration de la chaîne de valeur dans le domaine des biens de contenu est l’ensemble des étapes menant à une valorisation financière de ce contenu, ici informationnelle. Dans celle-ci, les agrégateurs jouent le rôle de “valorisateur” selon l’article “L’appropriabilité économique des biens de contenu” de Jaskold Gabszewicz, et Xavier Wauthy. Les agrégateurs ciblent les informations proposées selon le profil des internautes et permettent donc une plus large audience au contenu, ce qui permet plus de revenus aux médias. Le rôle de ces agrégateurs n’est pas essentiel en tant que tel, mais il le devient lorsque Google ou tout autres moteurs de recherches supprime l’accès au lien de sa base. C’est en raison de cet enjeu majeur que le groupe Copiepresse est revenu sur le procès et que la décision a été annulée, Google refusant de payer et de céder à la demande sans déférencer intégralement le groupe.
Un autre problème de ce sujet était la mise à disposition gratuite de contenus que les médias faisaient eux payer via leur site internet. Désormais ces articles sont encore proposés mais comme liens, la lecture reste donc payante, le cas des agences de presse est cependant à part, ce que nous allons voir
B) Vers une voie de résolution ? – le cas de l’AFP
L’AFP est une agence de presse : à la différence d’autres médias elle recueille, trie, traite, stocke, transmet et diffuse une information factuelle. (Larousse). Les principaux clients des agences sont des médias, qui se servent des dépêches comme base de leurs articles. Or, certains de ses articles transforment peu la matière brute de la dépêche. Ils ont le droit car ils ont un abonnement. En revanche, lorsque Google News a commencé à récupérer ces dépêches de seconde main pour les diffuser gratuitement, l’AFP a considéré que ce n’était pas les articles de médias, qui étaient reproduits, mais ses dépêches.
C’est pourquoi en 2005 l’AFP ouvre une procédure judiciaire devant le tribunal de commerce de Paris, en février, et auprès d’un tribunal de Washington en mars. Une des difficultés majeures de l’AFP pour défendre son point de vue a été de prouver qu’elle était victime de contrefaçon du droit d’auteur sur les titres, les articles et les photos. Ce à quoi Google oppose, notamment, le fait que les titres des dépêches AFP ne sont pas à protéger, parce que pas assez “originaux et créatifs”, ce qui fait qu’ils pourraient venir de n’importe qui et que les formulations sont basiques. Une sorte de manière de dire, que tellement c’est factuel ils ne peuvent pas reformuler. En France, l’agence rajoute l’atteinte aux droits d’auteur de base de données.
Pendant les préliminaires du procès, la période de constitution du dossier à charge et de défense (les années de discovery), l’AFP a dû surveiller les publications de Google pour traquer chaque réutilisation de ses brèves. C’est un processus long et couteux, qui est aussi fastidieux. L’AFP annonce produire plus de 16 000 nouveaux contenus quotidiens. Ce qui fait autant de contenus à surveiller et qui s’accumulent. Dès le début de l’action en justice intentée par l’AFP, Google avait retiré de son agrégateur, lui-même, les contenus litigieux, avant de les réintroduire de nouveau. Les enlever avait été utilisé par l’AFP comme un aveu de ses torts de la part de Google. Aussi pour récolter les preuves contre Google l’AFP avait besoin d’accéder à ses archives, ce qui forcément n’était pas simple.
L’AFP a demandé des dommages et intérêts de 17.5M d’€ soit la somme équivalente à l’abonnement non-souscrit de Google. Finalement, Google ne peut pas agir comme il l’a fait contre Copiepresse car dans le cas des agences de presse la valorisation du contenu vient de l’abonnement, et elles n’ont pas besoin d’être visibles, mise en avant en ligne. Le procès n’est pas arrivé à termes. Dans ce cas particulier google a cédé et a signé un accord en septembre 2007. Les agences Associated Press (Etats-Unis), Canadian Press (Canada) et Press Association (Royaume-Uni) ont aussi bénéficié d’accords permettant désormais Google News à ne pas simplement renvoyé au lien, mais bien au contenu directement. L’acquisition du droit de republication des productions des agences de presse permettent à Google d’éviter un procès, et d’avoir un contenu “pur”, pas déformé, ni détourné, qui répond à l”’idéologie californienne de l’information” selon R. Barbrook, et A. Cameron. Ces accords ont plutôt été défavorable aux médias anciennement intermédiaires entre l’AFP et Google, car désormais ces reprises de dépêches sont mises de côté.
C) S’adapter à la numérisation du marché
Suite à ces procédures les médias en ligne ont remis en question leur modèle économique essentiellement celui du “tout gratuit” et se sont adaptés à la numérisation du marché.
Tout d’abord en 2010, Le Monde, devient le premier journal généraliste en France à adopter une formule mixte. Le journal tire ses revenus à la fois des abonnements et de la publicité. Seuls certains contenus restent disponibles gratuitement en étant financés par la publicité. Il s’agit des dépêches d’agence et des contenus déjà produits spécialement pour le site, en revanche les articles publiés dans le journal papier, sont soumis à un abonnement. Plusieurs sont proposés selon ce qui intéresse l’internaute. Par le passé certains éléments étaient déjà réservés aux abonnés comme la création de blogs, l’accès aux archives ou à des infographies interactives, mais désormais il s’agit même d’actualités “chaudes”. Ce contenu médiatique est protégé de la récupération d’un agrégateur, car il y a comme pour les agences de presse un système d’abonnement.
D’abord dubitatif à la réussite d’un tel projet observateurs du marché ont constaté la réussite du nouveau modèle du Monde. De plus en plus de journaux, s’y mettent, mais encore en 2019 les doutes subsistaient. Selon le baromètre 2018 de l’Institut Reuters, plusieurs médias étaient tenté par ce modèle de l’abonnement ou du paywall (paiement à l’article), mais les observateurs craignaient des logiciels permettant de passer outre l’abonnement. Aujourd’hui le tout gratuit n’est plus le modèle unique de référence, car les annonceurs se tournent majoritairement vers Google et Facebook, « qui peuvent cibler leur audience plus efficacement et à une plus grande échelle » que les sites des journaux, radios et chaînes de télévision. Selon le cabinet britannique PwC, Google et Facebook captaient à eux seuls 79 % des investissements publicitaires en ligne, et 93 % sur le mobile en 2018.
Ainsi les médias en ligne ont tout intérêt à plutôt valoriser eux-mêmes leur référencement pour que les internautes tombent sur leurs articles à partir des moteurs de recherches et aient envie de payer. On dit qu’un site est bien optimisé ou référencé s’il se trouve dans les premières positions d’un moteur de recherche sur les requêtes souhaitées. Cet enjeu est d’autant plus compréhensible lorsque l’on sait que les liens en 1ère position reçoivent 33% des clics sur ordinateur, ce n’est plus que 10% des clics en 3ème position. Pour un total d’env 60% des clics repartis seulement entre les 3 premiers résultats. Cette mise en valeur des médias en ligne passe par la SEO (Search Engine Optimization), soit en français : « Optimisation pour les moteurs de recherche ». Plusieurs critères entrent en jeu :
- L’optimisation de la qualité du contenu d’un site / page web
- L’optimisation de la partie off-site : tout ce qui est plutôt technique et peut mener au site
- L’un des éléments qui prend de plus en plus d’importance est l’expérience utilisateur
- Les éléments techniques liés à l’infrastructure
Lorsque ces éléments sont bien maitrisés par un quelconque site, dont un média, il n’a plus besoin de payer les moteurs de recherche pour être placé en haut, cela se fait naturellement par le biais de leurs algorithmes. Ainsi, ls sont beaucoup moins dépendants.
En 2020 la presse a fait un pas de plus dans sa prise d’indépendance envers Google. Un procès mené par l’AFP, différentes associations syndicales ou professionnelles des médias contre google a été ouvert pour obtenir une rémunération lorsque le moteur de recherche afficherait une vignette ou un extrait de leurs articles. La justice a retenu “un abus de position dominante en ce que Google parait d’une part avoir imposé aux éditeurs et agences de presses des conditions de transaction inéquitables en refusant toute forme de rémunération et de négociation pour l’affichage des contenus protégés par les droits voisins de la loi de 2019”, loi européenne, “[la cour] a considéré que ce comportement portait une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse”, et qu’il s’agissait d’un non respect de la propriété intellectuelle. Google est contrainte de négocier. Le Directeur général de Google France a précisé que parmi les éléments avaient été pris en compte pour la rémunération la contribution de l’éditeur à l’information politique et générale, son volume quotidien de publication, son audience Internet mensuelle, ainsi que l’usage des contenus sur les sites de Google seraient les premiers critères pris en compte. En 2021 l’Alliance de la presse d’information générale a signe un accord-cadre avec Google. Cet accord, d’une durée de trois ans, «fixe le cadre dans lequel Google négociera des accords individuels de licence » , pour les publications reconnues «d’information politique et générale». Ces accords de licence «couvriront les droits voisins, et ouvriront en outre aux journaux l’accès à News Showcase». Ce news shawcase est un programme de l’application Google News, qui pourra afficher les contenus protéger des médias partenaires directement dans le programme de Google, qui désormais les rémunèrerait.
Aussi en ce qui concerne l’exemple de Microsoft News que nous avons vu dans la première sous partie, l’agrégateur a fait le choix de financer des rédactions dites “partenaires” également et de proposer lui-même le contenu.
Que conclure ?
In fine, l’information en ligne est ce nouvel écosystème pour le monde des médias arborant un marché en pleine mutation où amateurs et professionnels cohabitent et dans lequel émerge une infomédiation nécessaire à l’heure d’une infobésité permanente. Pour exister sur Internet, il convient d’être référencé et de capter l’attention de la demande individuelle. L’infomédiation conduit à une relation conflictuelle entre acteurs devant s’adapter aux enjeux de la numérisation pour perdurer.
Finalement, l’avènement d’Internet est perçu – nous l’avons vu lorsque nous avons traité de la production d’informations alternatives – comme un moyen d’échapper au contrôle qu’exercent les médias sur la diffusion de l’information internationale. Internet développe un modèle transnational de l’information pour lequel la promesse demeure la pluralité ainsi que l’information accessible pour tous et partout dans le monde. Si l’abolition des frontières semblent s’opérer, la promesse d’une pluralité et d’une authenticité de l’information est à nuancer tant l’enjeu économique semble prendre une part importante dans la conception de l’information jusqu’à, sans doute, altérer silencieusement le concept même d’information. Notre régime d’hyper-information provoque une altération drastique du concept d’information. « Et si l’information ne renvoyait plus à un évènement, mais à la promotion de l’information elle-même comme évènement ? » pour reprendre l’analyse du philosophe Jean Baudrillard dans son ouvrage L’autre par lui- même (Baudrillard, 1987).
Bibliographie :
Ouvrages généraux :
- WOLTON Dominique, Internet et après? une théorie critique des nouveaux médias : suivi d’un glossaire, Flammarion, Paris, 1999.
- CARDON Dominique, Culture numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2019.
Ouvrages spécialisés :
- B.J. FOGG, Persuasive Technology, Stanford University (Morgan Kaufman Publishers), Californie, 2002
- BRONNER Gerald, La démocratie des crédules, PUF, Paris, 2013.
- JOSÈPHE Pascal, La société immédiate, Calmann-Lévy, Paris, 2008.
- FLICHY Patrice, Le sacre de l’amateur, Seuil, Paris, 2010.
- JENKINS Henry, Culture de la convergence, 2006 ; ed. française : Armand Colin, 2013.
Sources :
- Smyrnaios Nikos, Rebillard Franck, 2009, « L’actualité selon Google. L’emprise du principal moteur de recherche sur l’information en ligne », Communication et langages, n° 160, p. 95-109.
- Guibert Gérôme, Rebillard Franck, Rocheland Fabrice, 2016, « Média, culture et numérique, approches socioéconomiques – Chapitre 5 : Information en ligne » Paris, Armand Colin, p.149-172.
- Cour d’appel de Paris, pole 5, chambre 7, arrêt du 8 octobre 2020, n°21
Articles :
- Chaiehloudj, Walid. « Fake news et droit de la concurrence : réflexions au prisme des cas Facebook et Google », Revue internationale de droit économique, vol. t. xxxii, no. 1, 2018, pp. 17-40. URL : https://doi.org/10.3917/ride.321.0017
- Berteau Alexandre. « Presse en ligne : de plus en plus de médias misent sur l’abonnement payant », Le Monde, 10 janvier 2019. URL : lemonde.fr/actualite-medias/article/2019/01/10/en-2019-la-conversion-des-medias-a-l-abonnement-payant-se-poursuit_5407021_3236.html. Consulté le 3 avril 2021.
- Jaskold Gabszewicz, Jean ; Wauthy, Xavier. L’appropriabilité économique des biens de contenu. CEREC Working Papers ; 2007/4 (2007). URL : http://centres.fusl.ac.be/CEREC/document/2007/cerec2007_4.pdf